Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
d'argent et une lettre, et s'excusa pareillement de ce qu'il ne m'offrait pas l'hospitalité: je devais sentir, disait-il, que malgré le plaisir qu'il aurait à se lier avec moi, il était obligé de céder aux exigences de sa position, comme subordonné du gouverneur, qui, vu l'état actuel de la colonie, désirait que les officiers de la garnison s'abstinssent de relations avec tout étranger. Il m'indiqua cependant le logement d'un lieutenant d'artillerie chez qui je trouverais, croyait-il, des nouvelles récentes de mon frère. En le remerciant, je ne pus m'empêcher de lui dire combien son accueil aimable me faisait regretter la défiance injustifiable du gouverneur; et je me dirigeai vers la demeure du lieutenant d'artillerie, avec la pensée d'éprouver jusqu'où irait l'espèce d'interdit qui me frappait. Mais cet officier me réconforta par sa cordiale réception: il me faisait chercher depuis la veille, et il insista pour me retenir chez lui. J'eus beau refuser, dire que ma présence pourrait le compromettre, il ne voulut rien entendre, et il m'installa dans un charmant appartement de son habitation.
J'appris alors que mon frère, après avoir passé quelque temps à Aden, s'était embarqué pour l'Égypte, où il espérait trouver des soins médicaux plus intelligents; qu'il était revenu à Aden, où, sous le prétexte qu'il pourrait bien être un agent secret du gouvernement français, le capitaine Heines lui avait suscité des difficultés de toute nature, jusqu'à défendre aux officiers d'entretenir des rapports avec lui; qu'enfin mon frère avait cru opportun de s'éloigner et d'aller m'attendre à Berberah, malgré le gouverneur, qui voulait empêcher son embarquement, alléguant qu'il attendait à son sujet des ordres de son gouvernement.
Mon hôte me dit que mon arrivée faisait sensation; le bruit courait que, comme frère d'un agent secret je devais être pour le moins un homme dangereux; les officiers n'en croyaient rien, mais le gouverneur profitait de l'occasion pour exercer sur eux une pression qui, selon lui, dépassait ses pouvoirs et contre laquelle il était très-heureux de protester ostensiblement, ne fût-ce que pour la dignité de l'épaulette.
J'envoyai une lettre à mon frère; le manque d'une occasion pour Aden retarda sa réponse. J'eus à échanger une correspondance avec le gouverneur pour faire lever l'interdiction faite aux patrons de barques indigènes de me recevoir à leur bord; et je m'embarquai pour Berberah, après avoir séjourné un mois à Aden.
Je me séparai à regret de mon aimable hôte, le lieutenant Ayrton, qui, de même que les autres officiers de la garnison, ne douta pas un instant du caractère de mon frère, mais qui n'hésita pas à manifester l'indépendance de ses sympathies pour un voyageur qui se dévouait au culte de la science.
Après quatre jours de mer, nous mouillâmes dans la partie rade-foraine de Berberah.
Berberah est situé dans le pays des Somaulis, sur la côte d'Afrique, faisant face à celle d'Aden. Pendant cinq mois de l'année, il s'y tient une foire alimentée par les caravanes venant de l'intérieur, du royaume de Harar surtout, et par les petits bâtiments arrivant de la Perse, de l'Inde, de Mascate, de Zanzibar et de l'Arabie. Il s'y fait beaucoup d'affaires, vu le commerce relativement assez restreint de ces parages; la première caravane y arrive au commencement de décembre, et la dernière en repart vers la fin d'avril. À un jour fixé, les Somaulis, qui forment sa population annuelle, abandonnant leurs campements et leurs maisons en nattes, chargent leurs femmes, leurs enfants et leurs ustensiles sur des chameaux, et partent dans toutes les directions pour l'intérieur; tous les navires reprennent la mer; et pendant sept mois de l'année, Berberah reste complètement désert. Les principales provenances qui alimentent cette foire sont: des esclaves, des bœufs, des moutons, de la myrrhe, du café, de l'or (en petite quantité), du civet, de l'ivoire, de la gomme, quelques peaux, de l'encens, du cardamôme et du beurre fondu. Les importations sont: des étoffes de coton de l'Inde et de la Perse, du cuivre, de l'antimoine et surtout de l'argent. Les Somaulis, peuple pastoral, ont peu de besoins, mais ils sont attirés à Berberah par l'espoir d'exploiter les trafiquants. Tout étranger, dût-il ne rester qu'un jour à Berberah, est obligé de choisir parmi les Somaulis un abbane ou protecteur, à qui il doit faire un
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