Douze
château était encore là, en ruine, bien sûr. Deux des Valaques voulaient s’y rendre — pour implorer de l’aide — mais les autres étaient effrayés, y compris celui qui traduisait pour moi. J’ai accompagné les deux en question, non pas parce que je croyais que nous serions sauvés par un fantôme de quatre cents ans, tu comprends, mais j’espérais que ces ruines puissent se révéler défendables.
» Nous avons tous les trois grimpé la pente raide et irrégulière pendant dix minutes jusqu’à ce que nous parvenions, de façon inattendue — pour moi, mais pas pour les deux autres – à une route. Une lune brillante nous guidait et ainsi, grâce à cette route, nous avons progressé beaucoup plus rapidement. Je commençais à me dire que, si le château s’avérait effectivement utile, nous aurions peut-être vraiment pu avoir une chance de tenir jusqu’à ce que les Turcs en aient assez. Mais, alors que je retrouvais mon entrain, l’humeur des deux Valaques est devenue plus sombre. Ils marmonnaient entre eux et se sont mis à marcher plus lentement jusqu’à finalement s’arrêter, et ils ont semblé discuter de poursuivre ou non.
» Je me suis dit, au diable ces deux-là , et j’ai simplement continué à avancer sur la route. Cela a fait effet car, avant peu, ils m’avaient de nouveau rejoint. C’était quand même étrange, la façon dont ils restaient un peu en retrait, mais toujours à proximité. Je ne pouvais pas dire s’ils me voyaient comme leur protecteur ou s’ils s’assuraient simplement que j’étais livré à celui que nous allions trouver à notre destination. (Dimitri marqua une nouvelle pause, tout à ses pensées, le regard perdu dans le lointain.) C’est la réaction des deux autres qui m’a indiqué en premier que nous étions arrivés. Je ne l’avais même pas vu, mais soudain l’un d’eux a tendu le doigt et ils se sont tous les deux pétrifiés, bouche bée. Cela devait faire dix minutes déjà qu’il était visible mais il a fallu que je regarde vraiment pour le distinguer. Il était construit dans le flanc de la montagne — il en surgissait presque — et il m’est brusquement apparu que ce n’était pas une ligne de rochers qui surplombait la route que nous suivions, mais les murs d’un vaste château en ruine, des hautes fenêtres sombres duquel ne provenait pas le moindre rayon de lumière, et dont les remparts brisés affichaient une ligne en dents de scie sur le ciel baigné de la lumière de la lune.
» Nous sommes allés jusqu’à la porte qui donnait sur une cour. L’endroit était totalement délabré, mais il avait dû être imprenable en son temps. Il datait très certainement du Moyen Âge. Même ainsi, il n’était pas totalement décrépit : dans la cour, j’ai pu voir, enchâssée dans une embrasure saillante de pierre massive, une grande et vieille porte en bois parsemée de gros clous en fer.
» Mes deux compagnons marmonnaient entre eux. Quand ils eurent terminé, l’un d’eux a fait un effort visible pour retrouver son calme et il a traversé la cour avec hésitation. L’autre a levé la main pour m’indiquer de rester où j’étais, même si je n’avais pas besoin d’y être invité. À l’intérieur de la cour, le premier fixait une haute fenêtre, ses yeux rivés sur un occupant que je ne pouvais voir. Je doutais qu’il pouvait le voir lui-même.
» Il s’est jeté à genoux devant la porte, a levé les mains et a crié quelque chose que j’ai supposé être sa supplique, les yeux toujours dirigés vers cette fenêtre. Il a continué à crier, il s’est mis à se frapper la poitrine, puis à s’arracher les cheveux jusqu’à ce que finalement il se jette en avant, et j’ai pu entendre ses mains nues frappant cette lourde porte de bois. Au bout d’un moment, le bruit s’est arrêté et nous avons attendu. Le Valaque qui était dans la cour s’est immobilisé, affalé contre la porte. Celui qui était avec moi jetait des regards nerveux alentour, ses yeux s’arrêtant successivement sur chacune des fenêtres au-dessus de nous, à la recherche de quelqu’un prêt à répondre à la prière de son compatriote. Mais aucune réponse n’est venue.
» Après peut-être dix minutes, celui qui était dans la cour s’est ressaisi, remis debout et est revenu vers nous en secouant pitoyablement la tête lorsqu’il regardait son ami. Sans qu’ils échangent le moindre mot, ils ont fait demi-tour et ont repris
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