Douze
officiers, pour voir deux silhouettes que j’ai reconnues comme étant Andreï et Iakov Alfeïinitch, rampant vers la sentinelle qui montait la garde à l’extérieur. Je ne pouvais voir que le dos du garde. Il pouvait distinguer les deux Opritchniki qui s’approchaient de lui et sa tête s’est, d’incrédulité, tournée de l’un à l’autre. Il a fini par faire feu sur Andreï avec son mousquet et, sans aucun doute, la balle a traversé sa poitrine, mais cela ne l’a pas freiné davantage que le ferait un bref coup de vent. Iakov Alfeïinitch a plongé vers les jambes du soldat. Celui-ci a répondu en lui poignardant violemment le dos de sa baïonnette. C’était aussi inefficace que la balle de mousquet l’avait été.
L’attaque de Iakov Alfeïinitch a fait tomber au sol la sentinelle et, à l’instant où celle-ci a touché terre, Andreï s’est jeté sur sa gorge. Ce que j’ai vu alors est au-delà de la compréhension de tout homme civilisé. Mon éducation n’a jamais autorisé le moindre des mythes et contes populaires qui sont le pain quotidien de tant de mes contemporains. Du peu que j’avais entendu dans la cour de l’école au sujet des vampires, des loups-garous et autres abominations, j’étais heureux d’avoir été épargné par de telles inepties. Même ceux qui ont entendu ces histoires lorsqu’ils étaient enfants n’y croient pas tous en grandissant. Mais tout homme doit croire le témoignage de ses propres yeux.
Andreï a plongé ses dents profondément dans la gorge de l‘homme et déchiré une tranche de chair. Le soldat était toujours vivant et luttait pour sa liberté sous la poigne ferme d’Andreï lorsque Iakov Alfeïinitch lui est tombé dessus et a pris une bouchée similaire de l’autre côté de son cou. Ensuite, tous deux se sont allongés à ses côtés, leurs bouches à son cou, lapant le sang qui s’écoulait de lui. Ce n’est que lorsque la sentinelle a cessé de respirer que les deux Opritchniki ont levé la tête de sa gorge et échangé un regard de fierté et de satisfaction.
Avant qu’ils aient pu se relever, trois autres soldats étaient sur eux. De nouveau, les dommages infligés par les balles et par les lames n’ont eu aucun effet. Ils les ont tués par la même méthode – avec leurs dents –, mais cette fois-ci ils ne se sont pas attardés pour boire le sang de leurs victimes. Le temps était devenu trop pressant pour qu’ils puissent profiter de la suite de leurs tueries.
Je me suis retourné pour parler aux autres officiers dans la tente avec moi, et j’ai été horrifié par ce que j’ai vu. Deux d’entre eux gisaient par terre, morts. Le troisième était resté droit, affichant sur son visage distordu une expression d’angoisse qui n’avait d’égale que la terreur révélée par ses yeux fixes. Par-dessus son épaule, j’ai vu le visage de Simon, regardant l’endroit où ses dents s’étaient enfoncées dans le cou de l’homme. Derrière ses dents, la langue de Simon allait et venait entre les tendons de l’homme, afin de déguster chaque goutte de sang qu’il pouvait trouver, de façon très similaire à la langue d’un chien qui se glisse dans les moindres interstices de son os, à la recherche du dernier morceau de moelle savoureuse.
Derrière eux, j’ai vu la déchirure dans le côté de la tente, par laquelle Simon était entré. Avant que Simon puisse lever les yeux et voir que je l’avais observé, j’ai senti un coup violent porté de derrière à ma tête et je m’effondrai, inconscient.
Lorsque je suis revenu à moi, il faisait encore sombre. J’ai vu le visage d’Andreï s’approcher dangereusement du mien, et j’ai craint qu’il soit maintenant temps pour moi aussi de jouer le rôle de repas pour ces créatures. Au lieu de cela, Andreï affichait de la préoccupation. J’ai feint l’amnésie jusqu’à ce que j’en aie entendu assez de leur part pour comprendre ce qui, selon eux, s’était passé. Il s’est avéré qu’ils avaient l’impression que j’avais été capturé par les Français. Ils avaient attaqué le camp par hasard, mais, lorsqu’ils m’ont reconnu, ils ont transformé leur attaque en mission de sauvetage. Je suis entré dans leur jeu et j’ai également réussi à les convaincre que je ne me rappelais rien de ma libération – que le coup que j’avais reçu sur la tête avait effacé toute image de ce que j’avais constaté de leurs méthodes de mise à mort.
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