Douze
pas à distinguer si elle était réelle ou le produit de mon imagination rongée par la culpabilité.
— Quelle ville est-ce ? demanda Dimitri, ignorant toujours totalement l’endroit où nous étions.
— Desna, dis-je, exprimant tant par mon ton que par mon regard l’importance de ce que je disais.
Il fit une grimace pour montrer que le nom ne signifiait rien pour lui, mais il vit à mon expression qu’il devait réfléchir davantage. Puis il comprit soudain.
— Oh, je vois, dit-il respectueusement.
Nous pénétrâmes dans la hutte. Peu de chose avait changé depuis la dernière fois que j’étais venu ici, deux mois auparavant. Les Français avaient suivi ce chemin durant leur retraite, mais la hutte n’avait rien à l’intérieur qui ait pu leur être utile. Le poêle était toujours contre le mur du fond. La chaise qui avait été au centre y demeurait elle aussi, renversée sur le côté.
Le corps de Max était affaissé dans un coin de la pièce, appuyé contre le mur comme s’il était assis, l’air las, la tête penchée en arrière, nous étudiant, Dimitri et moi, tandis que nous observions la pièce. Qu’il ait été placé là ou qu’il soit tombé ainsi par hasard, je ne pouvais le dire. Ses jambes étaient repliées presque jusqu’à sa poitrine et un bras reposait sur son genou ; l’autre pendait librement à son côté. Par chance, la décomposition de son corps était trop avancée pour laisser la moindre trace visible des blessures qui lui avaient été infligées à sa mort, bien que je sois maintenant assez familiarisé avec la façon dont les Opritchniki opéraient pour en avoir une assez bonne idée. Le tissu de sa culotte flottait autour de ses tibias pour donner une impression trompeuse de ce qui restait de la chair putréfiée en dessous. Seules ses mains et sa tête étaient visibles en dehors de ses vêtements. Ses mains étaient vieilles et flétries, et son visage était décomposé, méconnaissable. Contrairement à Vadim, Max n’avait pas de barbe qui aurait subsisté une fois que le reste de sa personne avait pourri. Seules ses lunettes donnaient une indication qui me confirmait ce que je savais déjà – que c’était Maxime Serguéïevitch. Elles tenaient accrochées à son nez et à une oreille – l’autre ayant depuis longtemps perdu l’intégrité nécessaire à les soutenir –, la monture métallique s’enfonçant dans la chair morte et molle de sa joue.
Nous restâmes silencieux quelques instants. Plusieurs fois, je sentis que Dimitri était sur le point de parler, mais chaque fois il se ravisa. En cela, il était sage.
— Nous devrions l’enterrer, finis-je par dire.
— Oui, dit Dimitri d’une façon qui exprimait une forte approbation là où aucune n’était nécessaire. Je vais voir si je peux trouver des outils.
Il s’éloigna, me laissant quelques précieuses secondes supplémentaires avec mon ami abandonné. Un moment plus tard, il lança un appel étouffé.
— Alexeï ! Regarde cela.
Il était agenouillé, étudiant le mur juste à côté de la porte, une zone cachée lorsque la porte était ouverte. Je me baissai à côté de lui pour voir ce qu’il regardait. C’était un emplacement classique pour un message. Une main tremblante avait gravé dans le bois la ligne suivante :
20 – 27 – 8 – M – Π
Max était venu ici et avait laissé cette marque le soir du 27 août. Cela, je le savais : c’était seulement la veille du jour où je l’avais retrouvé ici. Le « Π » était, en revanche, la partie la plus intéressante du message. Il signifiait que, quelque part dans les environs, Maxime avait caché une lettre.
Chapitre 21
Il ne nous fallut pas longtemps pour trouver la lettre. Il n’y avait pas beaucoup d’endroits où elle pouvait être cachée dans une structure aussi rudimentaire. Max l’avait glissée entre l’une des poutres soutenant le toit et le toit de bois lui-même. Il fallait la chercher pour la trouver.
Elle m’était adressée, datée du 27, le même jour que son message gravé. Il y avait environ une demi-douzaine de feuillets, couverts des deux côtés de l’écriture petite et précise de Max. Je la lus à haute voix.
« Mon cher Alexeï,
Si tu lis cette lettre, je dois de demander de m’excuser pour ne pas avoir attendu plus longtemps ton arrivée. Comme tu le comprendras une fois que tu auras lu ceci, je crains très fortement pour ma vie et peut-être pour davantage. En te
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