Douze
lorsque les oiseaux chantèrent l’aube. Il devint pire. Les horreurs que j’avais vues durant la nuit n’étaient qu’un prélude aux horreurs que le jour amènerait. J’allais tuer Domnikiia. C’était une atrocité rendue bien plus épouvantable par le rôle que j’y jouerais : je ne serais pas seulement spectateur, mais aussi acteur. Je pouvais reculer à tout moment et l’horreur s’en irait, mais uniquement pour être suivie de la perspective inacceptable qu’elle continuerait à vivre. Le prix de mon inaction de la nuit précédente serait payé par mon action en ce jour.
Mais la journée était longue. Il n’y avait aucune raison pour moi d’y aller immédiatement, tout juste au moment où le soleil se levait. La veille, j’avais eu huit heures de lumière du jour pour galoper de Kourilovo à Moscou afin de sauver Domnikiia. J’avais échoué. Aujourd’hui, j’en avais autant, et je n’avais qu’à marcher dans quelques rues de Moscou, monter dans une chambre et insérer une lame de bois dans un cœur déjà mort. Je pouvais attendre jusqu’au déjeuner avant de me mettre en route et d’accomplir ma tâche, et néanmoins avoir encore l’essentiel de l’après-midi pour moi-même.
Je partis immédiatement. Domnikiia n’avait peut-être pas été en état d’apprécier son existence infernale mais, au nom de l’amour que je ressentais encore pour elle, il était de mon devoir d’y mettre fin sans un instant de retard injustifié. Je ramassai une poignée de neige pour me frotter le visage et remarquai alors qu’elle était teintée de rouge. Partout autour de moi, la neige était tachée de sang. C’était mon propre sang. La blessure de mon bras s’était rouverte durant la nuit et avait marqué la neige à mon côté. Je me déplaçai pour trouver de la neige plus propre et j’y baignai mon visage. J’avais déjà assez froid, mais le contact glacé me rafraîchit et me réveilla. Je pris une bouchée de neige et la laissai fondre sur ma langue. Puis je me mis en route pour accomplir ma tâche.
J’étais à peine sorti du cimetière que ma conviction m’abandonna une fois encore. Je ne me mis pas en route vers la rue Degtiarni, ni à son opposé, mais empruntai un chemin qui semblait simplement tourner autour, comme si je tentais de m’amener moi-même sur place par la ruse. Mon orbite n’était ni circulaire, ni elliptique comme une comète, mais en spirale comme une météorite. Chaque virage que je prenais me rapprochait de Domnikiia, mais je ne me déplaçais jamais directement vers elle. Tout comme la première fois que j’étais revenu à Moscou, après Smolensk, j’essayais de me piéger, de tomber sur la maison close comme si ce n’était pas intentionnel. Ainsi le voleur de mon désir pouvait se faufiler devant ma sentinelle du bien et du mal. Ma moralité devait à présent suivre un chemin que mes sentiments ne devaient pas voir.
Avant peu, j’étais de nouveau sous sa fenêtre. Celle du rez-de-chaussée juste sous la sienne donnait directement dans le salon. Il était assez facile de pousser le loqueteau et de grimper dans une pièce dans laquelle, quelques heures plus tard à peine, j’aurais été invité à entrer par la grande porte comme un invité d’honneur. La fenêtre s’ouvrait devant moi. Au-delà, l’escalier conduisait à la chambre de Domnikiia et, par conséquent, à Domnikiia elle-même et donc à sa mort. J’avais encore la possibilité de partir.
J’entrai.
Le silence et l’obscurité qui régnaient à l’intérieur n’étaient ni familiers ni adéquats. Cette pièce, avant toute autre dans la maison, était celle où s’effectuait l’argumentaire de vente. Auparavant, ç’avait toujours été un endroit joyeux, lumineux et bruyant. J’avais rarement souhaité m’y attarder par le passé, ayant en tête un objectif spécifique et unique dans la chambre à l’étage. Par conséquent la devanture de la boutique avait à peine été une distraction pour moi, ne présentant jamais le moindre attrait. Cette fois, j’éclatai presque en sanglots à son souvenir. Je me rappelai l’anticipation que j’avais toujours ressentie en entrant ; le papillonnage timide de mes yeux d’une fille à l’autre jusqu’à ce qu’ils tombent sur Domnikiia ; le fait, parfois, de ne pas l’y voir et de devoir attendre jusqu’à ce qu’elle descende légèrement l’escalier pour me saluer. Même dans la pénombre, la pièce conservait
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