Douze
Domnikiia quitter la surface de la terre ; que tout l’amour qui avait été investi dans sa création ne pouvait être aussi facilement mis de côté.
Et pourtant, si je ne pouvais pas la tuer, que devais-je alors faire ? Devais-je partir maintenant et ne jamais la revoir, entendant seulement parler de temps en temps de l’étrange décès d’un innocent quelconque dont je soupçonnerais qu’elle en avait été la cause ? Le regret me broierait. Je serais responsable de chaque mort terrible pour n’avoir pas agi aujourd’hui. En choisissant maintenant de ne pas détruire la créature qui était venue habiter le corps de Domnikiia, je porterais le poids de chaque mort qu’elle provoquerait. Si je devais mourir demain sur un champ de bataille, ou même aujourd’hui par ma propre main (la pensée m’avait traversé), alors les décès de toutes ces âmes futures seraient toujours comptabilisés à charge de la mienne lors de mon jugement. Ne pas plonger ma dague dans le corps de Domnikiia revenait à damner ma propre âme éternelle, et pourtant je ne pouvais le faire. J’étais donc damné. Cette certitude ouvrait un nouvel éventail de possibilités. Une nouvelle liberté m’était accordée, qui me permettait d’entreprendre toute action, indépendamment de ses conséquences morales. Comme un homme condamné à la pendaison pour un larcin, j’étais maintenant libre de commettre tout crime de mon choix – plus libre, en fait, car le voleur aurait quand même à craindre ce qui viendrait après sa mort.
Ce concept était excitant mais, tandis que je l’envisageais, je ne pouvais trouver beaucoup d’actes immoraux que j’aurais souhaité accomplir – certainement aucun que je n’aie déjà commis même avant ma récente libération éthique. Je ne me serais jamais considéré comme une personne spécialement bonne, mais il semblait que, d’une certaine façon, au cours de ma vie, j’avais perdu – ou je n’avais jamais acquis – le besoin d’être mauvais. Mon comportement ne m’était pas imposé par une crainte du châtiment ultime, mais c’était en quelque sorte une part innée de mon caractère, entretenue peut-être par l’accumulation de ces craintes toute une vie durant. Mais le fait de n’avoir aucun désir de faire le mal me rendait-il bon pour autant ? Certainement la bonté doit venir de la résistance aux envies obscures, et non de leur simple absence ? C’est le faible qui supplie le Seigneur de ne pas le soumettre à la tentation. Le fort a besoin de la tentation pour tester sa détermination. J’avais été confronté à une unique tentation – laisser vivre la vile créature qu’était devenue Domnikiia – et j’y avais cédé sans un combat. Je savais qu’il n’était pas trop tard, que je n’avais encore qu’à lever la main et à la laisser retomber pour assurer mon propre salut, et pourtant je savais aussi que je ne le pouvais pas et que je n’en serais jamais capable.
Il n’y avait qu’un seul avantage imaginable qui pouvait découler de ma décision de me damner. Si je devais, pour le restant de mes jours, parcourir cette terre en sachant que, lorsque je la quitterais, mon chemin ultérieur se précipiterait vers le bas, au moins je n’aurais pas à être seul. Je pourrais être avec Domnikiia. Je la laisserais me prendre et faire de moi un vampire de la même manière qu’elle en était récemment devenue un, et alors au moins notre descente en enfer s’accomplirait main dans la main. Je savais que je me raccrochais à un dernier fil brillant de vanité : l’idée qu’elle me voudrait à ses côtés. Si ce n’était pas le cas, alors je mourrais de sa main sans renaissance ultérieure en tant que vampire. Ce serait une punition appropriée.
Je posai ma dague de bois sur le bord de son lit et contemplai une dernière fois la beauté de Domnikiia, puis me léchai les doigts et éteignis la flamme de la bougie à côté de nous. J’enlevai mes bottes, mon manteau et mon fourreau, les jetant au sol, et m’allongeai sur le lit à son côté. Sous mon manteau, je vis les dégâts sanglants de mon bras blessé, mais cela n’avait pas d’importance. Quand je m’éveillerais – si je m’éveillais –, ce serait pour devenir une créature du même acabit que Domnikiia, et nous aurions devant nous une éternité à passer ensemble. Une blessure telle que celle-ci ne représenterait rien pour moi. Je n’avais pas fermé les yeux depuis deux nuits
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