Douze
de la confiance. La lâche retraite de Dimitri devant l’avenir s’était avérée être une réponse sage, une réponse que, maintenant, à peine quelques jours plus tard, je faisais mienne. La terreur qui m’avait consumé à Moscou après l’incendie était revenue. La sécurité avait alors semblé résider dans la fuite, et désormais elle se trouvait dans l’immobilité. Pourtant, j’aurais aimé que Domnikiia – la vraie Domnikiia – ait été là pour me distraire de la réalité de mon inaction ; soit pour remplir mes jours de banale frivolité, soit pour me résister d’une façon qui me forcerait à justifier ma torpeur ou qui la briserait.
Au lieu de cela, elle était simplement docile. Elle aurait pu m’aiguillonner à poursuivre, à l’ouest, les Français ou les deux Opritchniki survivants, ou elle aurait pu me supplier de rester avec elle à Moscou. De fait, je restai, mais non parce qu’elle me supplia – elle parlait à peine. Mon bras blessé constituait une excuse, mais il était en bonne voie de rétablissement, et j’avais chevauché dans la bataille avec des blessures bien pires. La peur justifiait que je reste.
Les funérailles de Margarita eurent lieu trois jours après sa mort. Elle s’avéra avoir de nombreux amis et connaissances qui prirent le temps de venir, même si peu parlaient entre eux, en particulier les hommes. Des neuf officiers en uniforme qui étaient présents, je fus surpris de constater que quatre étaient de rang supérieur au mien. Il était vraiment étonnant que Margarita ait droit à un enterrement. Les incendies à Moscou n’avaient pas causé beaucoup de morts, mais la famille qui s’était ensuivie avait balayé des milliers de vies, tant chez les natifs que chez les envahisseurs. La plupart attendaient encore d’être transportés vers les fosses communes. De ce que je pus comprendre, c’était Piotr Piétrovitch qui avait payé pour la cérémonie. Sa diligence à prendre soin de ses biens se révélait s’étendre au-delà des simples bonnes affaires.
Plus important, l’enterrement marqua un tournant dans l’humeur de Domnikiia. Ayant pu faire ses adieux formels à son amie et collègue, quelques touches de son ancien charme commencèrent à réapparaître. Même ainsi, le souvenir d’elle durant ses moments les plus difficiles me hantait toujours.
Quelques jours plus tard, alors que nous étions assis dans mes appartements à l’auberge, elle m’annonça :
— Je vais trouver un travail.
— Tu as déjà un travail. Ou du moins tu en auras un lorsque Piotr Piétrovitch rouvrira, lui dis-je.
M’entendre dire ces paroles était étrange. La plupart des hommes dans ma situation auraient été ravis que leur maîtresse abandonne une telle profession, mais je m’y étais habitué.
— Je ne peux pas retourner là-bas. Ce qui est arrivé à Margarita… Eh bien, si ce n’avait été Iouda, ç’aurait pu être quelqu’un d’autre. Cela pourrait m’arriver un jour.
— Piotr Piétrovitch te laissera-t-il partir ?
Je n’essayais pas de placer des obstacles sur son chemin, mais elle dut le voir comme cela.
— S’il refuse, il devra en répondre auprès de toi.
Je m’approchai d’elle et lui embrassai la joue.
— Il le devra certainement. (Je m’assis à côté d’elle.) Alors, que comptes-tu faire ?
— Je pourrais travailler dans une boutique, ou entrer au service de quelqu’un.
— Je connais peut-être des gens qui pourraient te prendre comme bonne.
— Ici, ou à Pétersbourg ?
— Certains ici ; mais la plupart à Pétersbourg.
— Je préférerais Moscou, répondit-elle.
Je préférerais aussi te savoir à Moscou , pensai-je, mais sans le dire.
— D’un autre côté, demanda-t-elle pensivement, ton épouse ne souhaiterait-elle pas une nouvelle bonne ?
L’illusion de commodité d’un tel arrangement fut rapidement bannie par le risque infini que cela me ferait prendre en réalité. Une épouse dans une ville et une maîtresse dans une autre était un aménagement confortable. Avoir les deux dans la même ville ajouterait du piquant. Avoir les deux dans la même maison relevait de Molière. Cela ne pourrait jamais être. Je savais qu’elle finirait par le comprendre mais, dans son humeur présente, un refus brutal aurait pu être préjudiciable.
— N’aimerais-tu pas cela ? poursuivit-elle. (Pourtant je n’arrivais pas à trouver la moindre réponse à lui donner.) Prostak , murmura-t-elle
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