Douze
elle était succincte, comme Dimitri en avait l’habitude.
«Alexeï,
Je crois que j’ai retrouvé la trace de Iouda et Foma. Ils ont infiltré l‘armée française et battent en retraite avec elle. Si mon instinct me dit de les laisser faire, je sais que tu ne serais pas d’accord et je pense qu’il est temps que je m’en remette à toi sur ce point. Je séjourne à Smolensk, à l’hôtellerie près du Dniepr, où nous avons logé la dernière fois que nous sommes venus ( Я 8). S’il te plaît, rejoins-moi ici aussi vite que possible,
Ton ami et camarade,
Dimitri Fétioukovitch Petrenko.»
Je n’avais plus l’excuse de mon bras pour me retenir à Moscou : il était presque guéri. Je n’avais plus l’excuse de ne pas savoir où je devais me rendre : la lettre de Dimitri me l’indiquait. Je n’avais aucun moyen d’éviter de me mettre en route une fois de plus, et je ne le souhaitais d’ailleurs pas.
Je montrai la lettre à Domnikiia. Elle la lut rapidement.
— Combien de temps penses-tu que cela va prendre ? demanda-t-elle.
— Qui te dit que j’y vais ?
Elle afficha une expression qui me disait que je ne la dupais pas davantage que je ne me dupais moi-même. Mes craintes exigeaient que je me trouve des excuses, mais la lettre ne m’en autorisait aucune.
— Tu penses que je devrais y aller, après tout ce qu’a fait Dimitri ? lui demandai-je.
— Non, mais toi tu penses que tu dois y aller.
— Et cela ne te fait rien ?
— Cela changerait-il quoi que ce soit si c’était le cas ?
Elle avait probablement raison.
Je me précipitai en bas et ordonnai de faire préparer un cheval, puis je revins et entrepris de faire mes bagages avec l’aide de Domnikiia. Je fus rapidement prêt. J’écrivis une liste de noms de gens que je connaissais à Moscou et qui étaient susceptibles de l’employer, ainsi qu’une lettre de recommandation hâtive. Je pris ses deux mains alors que je me tenais à la porte. Soudainement, il me sembla que c’était davantage un adieu* qu’un au revoir* .
— Tu auras un travail quand je reviendrai, lui dis-je.
— Peut-être, dit-elle calmement, puis elle me regarda dans les yeux avec intensité. S’il te plaît, ne t’en vas pas, Liocha, implora-t-elle.
Je l’envisageai un instant, mais pas plus que cela.
— Je le dois.
Elle eut un petit sourire en coin.
— Tu vois, dit-elle. Cela ne changerait rien du tout. Tu es trop transparent, Liocha, espèce de prostak.
J’eus un large sourire et la serrai fort dans mes bras.
— Je vais revenir, murmurai-je.
Je sortis dans la rue hivernale, me mis en selle et partis vers l’ouest une fois de plus, cette fois non pas à la poursuite des Français, mais des deux derniers Opritchniki.
Chapitre 28
La route de Smolensk était à peine reconnaissable depuis mon dernier passage. La chaleur humide de l’été avait été remplacée par une profonde couche de neige. La route elle-même était bien piétinée et la neige fraîche cédait par endroits la place à de la neige fondue, voire à de la boue. Moi aussi, j’avais changé. Douze semaines auparavant, nous nous étions mis en route, tous les quatre, confiants et bons camarades, désireux de défendre notre pays et croyant en nos nouveaux alliés, les Opritchniki. Maintenant, il ne restait que Dimitri et moi, et la confiance entre nous était fragile. Vadim et Maxime gisaient tous les deux, silencieux, dans des tombes anonymes. Les Français étaient venus à Moscou et ils en étaient repartis. Les Opritchniki ou nous-mêmes avions-nous joué un rôle important dans tout cela ? J’en doutais. Le sort de Bonaparte avait été scellé au moment où il avait traversé la frontière de la Pologne. À l’ouest, ils ne comprennent tout simplement pas à quel point l’Est est grand. Varsovie est loin, très loin de Paris. Si Bonaparte pouvait arriver jusque-là, la ville de Moscou pouvait-elle être beaucoup plus loin ? En réalité, c’est aussi loin de Varsovie que Varsovie de Paris, et le voyage est cent fois plus dangereux.
Le long du chemin étaient visibles diverses traces de la dévastation apportée par les armées qui étaient passées et repassées au cours des dernières semaines. Dans les villages situés sur le trajet, des bâtiments avaient été détruits par le feu ou, parfois, par pure brutalité. Cela avait pu être causé par les Français lors de leur avance, mais plus probablement par les Russes pendant leur retraite ; et pas
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