Douze
t’assieds, dis-je.
Je tentai d’avoir l’air généreux mais, en réalité, je me préparais à un interrogatoire et je serais dans une meilleure position si je pouvais rester debout et marcher tandis que lui serait forcé de rester assis et de lever les yeux vers moi. Il fit ce que je lui avais demandé.
— J’ai parlé à Dimitri, dis-je.
Max fixa le sol.
— Bien, murmura-t-il.
— Est-ce que c’est vrai ? demandai-je.
— De quoi parles-tu ?
Je perdis ma contenance et lui parlai plus personnellement que je ne l’avais souhaité, sortant du rôle d’interrogateur.
— Ce n’est pas un débat, Max. Ce n’est même pas un procès. Il s’agit de notre amitié. Donne-moi une réponse franche.
— Je ne peux pas. (Sa réponse était totalement sincère.) Tu me connais, Alexeï, je ne réfléchis tout simplement pas de cette manière. Je ne parle pas de cette manière.
Je savais ce qu’il voulait dire. Certains hommes affichent une façade intellectuelle pour donner un vernis de profondeur à leurs instincts. Max ne faisait pas dans l’instinct. Il en avait et – je l’avais compris lorsqu’il avait tenté de justifier sa visite au bordel – il le comprenait, mais il ne s’en préoccupait pas ou ne s’y fiait pas. Ses expressions les plus sincères étaient toujours construites dans le cadre d’un processus raisonné.
— Mais si tu parles d’amitié en particulier, c’est une chose que je n’ai pas trahie. Je n’aurais pas trahi quelque chose qui compte.
— Mais tu as trahi ton pays.
Ce n’était pas formulé comme une question, mais il y répondit quand même.
— Oui.
— Et tu as envoyé Simon, Faddeï et Iakov Alfeïinitch se faire massacrer par les Français.
— Oh oui, et j’aurais envoyé Andreï aussi si je l’avais pu. Même si nous pourrions discuter du « massacrer ».
— Que veux-tu dire ? Impliquerais-tu qu’ils ne sont pas morts ?
— Non, non. Ils sont morts. Je m’interrogeais juste sur le choix de mot, plutôt évocateur.
Quiconque ne connaissait pas Max aurait pu croire qu’il tentait d’être conflictuel, ou peut-être qu’il essayait d’être affable – pour faire de son interrogateur un ami –, mais je savais qu’il était simplement lui-même, comme d’habitude honnête et précis. Son esprit gérait ce qu’il devait avoir identifié comme la perspective imminente de sa mort en tant que traître avec le même détachement qu’il avait lors d’une discussion sur la littérature ou sur une nouvelle théorie politique.
— Tu ne fais donc aucune tentative pour nier que tu espionnais pour le compte de Bonaparte ? lui demandai-je directement.
— Non. Pourquoi le devrais-je ?
Je me cabrai face à cette démonstration soudaine d’honnêteté apparente.
— L’aurais-tu nié il y a un mois de cela ?
— Bien sûr.
— Alors qu’est-ce donc qui te rend si disposé à être honnête avec moi maintenant ?
— Le fait que tu sais tout. Je ne vais pas faire l’effort de mentir à un homme qui sait la vérité, répondit-il avec une simplicité absolue.
Si seulement l’un de nous avait alors compris que je ne savais pas tout, que certaines explications nécessitaient désespérément d’être dites, alors les choses auraient pu prendre un tour très différent. Mais Max, malgré toute la persuasion dont il pouvait faire preuve, n’avait jamais été du genre à comprendre facilement que les pensées, qui étaient si clairement conçues dans son esprit, n’étaient pas encore parvenues à trouver leur chemin dans celui d’autres gens. Mon horreur face à son acte de trahison, même si ce crime signifiait si peu pour lui, l’embrouilla peut-être au point de croire que j’étais au courant de la découverte plus terrible encore qu’il avait faite.
— Depuis combien de temps, donc, travailles-tu pour Bonaparte ? lui demandai-je.
— Tu sais que j’ai toujours été un sympathisant de la Révolution.
J’acquiesçai. Nous l’avions tous été, jusqu’à ce que la Révolution se transforme en un empire, et que cet empire envahisse notre pays.
— C’était lorsque j’ai été capturé à Austerlitz, poursuivit Max. Ils ont des experts pour repérer les recrues potentielles : les jeunes, l’avant-garde politique. La seule façon par laquelle ils ont pu me faire changer d’avis était de souligner que Napoléon serait le maître de l’Europe ou serait vaincu. Il ne peut pas y avoir de compromis heureux qui laisse une
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