Douze
meurtre de ton prochain en prétendant que c’est au nom de l’humanité ?
Je pris les deux moitiés de l’épée brisée, les plaçai côte à côte et les jetai dédaigneusement sur les genoux de Max. Puis je me détournai et pénétrai dans les ténèbres de la nuit, dehors.
— Mais c’est exactement cela, Alexeï, hurla Max derrière moi, de désespoir. Je croyais que tu comprenais. Ils ne sont pas…
Quoi qu’ils ne soient pas (et qui que soit ce « ils »), je ne l’entendis pas. La voix de Max fut interrompue par un glapissement bref et surpris, lorsque l’un des Opritchniki le frappa ou… je ne voulais pas y penser. Ce ne fut que plusieurs heures plus tard que je me rendis compte que ce son final émis par Max était exactement le même cri que j’avais entendu de la part du soldat français, victime de ce même terrible groupe d’hommes, moins d’une semaine auparavant à Goriatchkino.
La moitié de mon esprit n’avait aucun regret et je me consolai avec la certitude que c’était la moitié avec laquelle Maxime lui-même aurait été d’accord. Avec un peu de recul, le type d’exécution appliqué à Max ou à ce soldat français ne pouvait m’inspirer de pitié, et je ne pouvais pas regretter la mort d’un traître russe davantage que celle d’un patriote français, ou celle d’un mercenaire étranger davantage que celle d’un ami de sept ans. Il n’y a pas de bonne façon de mourir et il n’y a pas de bonne raison de mourir. La mort est momentanément désagréable pour ceux qui en font l’expérience et souvent opportune pour ceux qui la provoquent, mais les détails de l’instant de la mort ne méritent pas que l’on s’en préoccupe.
L’autre moitié de moi savait que je n’avais abandonné Max aux Opritchniki que par lâcheté. Une lâcheté certes pratique et rationnelle (mais en est-il d’autre ?), mais le fait demeurait que mon intention avait été de ramener Max à Moscou et que je ne l’avais pas fait par crainte pour ma propre vie. N’aurais-je pas dû prendre ce risque pour donner à Max une heure ou un jour de plus à vivre ? Cela ne lui aurait-il pas donné une dernière chance de s’expliquer d’une façon que je n’avais jusqu’à présent pas été en mesure de comprendre ?
Tandis que mon cheval suivait son instinct et s’en retournait vers Moscou sans que j’aie besoin de le guider, mon esprit n’était empli que de souvenirs joyeux du beau jeune homme que je venais d’abandonner à la mort. Sa trahison, qui ne m’avait obsédée que depuis six heures tout au plus, et qui avait été la cause de sa mort, était totalement chassée par les souvenirs de ses traits d’esprit, de son exubérance et de son étincelant cynisme.
Aux premières heures du matin, lorsque j’atteignis finalement les faubourgs de Moscou, je réalisai que, bien qu’il ait été vivant lorsque je l’avais quitté et bien qu’il soit, sans le moindre doute, mort à présent, je n’avais aucune idée de l’heure précise de la mort de Maxime parce que je n’avais pas été là. Je me rappelai la mort de mon père et ma méconnaissance similaire, alors, de son instant exact. Je n’étais qu’un enfant et ma mère m’avait tenu à l’écart de sa chambre, pour me protéger, durant les dernières heures de sa maladie. Je me souviens, alors que j’étais assis et que j’attendais, m’être demandé à maintes reprises comment je devais me sentir ; si je devais prier pour qu’il survive ou pleurer sa mort. Je ne songeais pas vraiment qu’une erreur de ma part ait pu avoir la moindre influence réelle sur le sort de mon père, mais cela avait certainement une incidence énorme sur mes sentiments.
J’avais alors juré de ne jamais refaire la même erreur – de ne jamais me retirer et être absent au moment de la mort d’un ami. Et pourtant, aujourd’hui, j’avais échoué à tenir ma promesse, tout comme j’échouerais de nouveau. Je pouvais trouver des excuses rationnelles à la couardise qui avait permis aux Opritchniki de le prendre, mais je n’en avais aucune pour justifier ma lâcheté morale de ne pas être resté avec lui jusqu’à la fin. Je l’avais laissé mourir seul, et c’était tout ce qui importait. Pis encore, il l’avait su.
J’arrivai à Moscou au matin et, pendant mon absence, l’ambiance de la ville avait changé au-delà de l’imaginable. Le reste de notre armée, que Vadim et moi avions si facilement dépassé sur la route en
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