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Douze

Titel: Douze Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jasper Kent
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le regard vers quoi que ce soit au-dessus du niveau du sol. Il s’appuyait sur une béquille de fortune, qui n’était autre qu’une branche de taille adéquate, sa fourche coincée sous son aisselle. La nécessité de la béquille ne devint que trop évidente lorsque j’étudiai le bas de son corps. Son pied et sa jambe gauche, sous le genou, pendaient mollement. De son tibia, il ne restait absolument rien, et seules la chair et la peau maintenaient le membre attaché. Lorsque la charrette avança un peu et qu’il fit quelques pas pour rester à sa hauteur, sa jambe traîna inutilement derrière lui, glissant dans la terre comme le bas d’un manteau d’adulte porté par un enfant. La blessure devait avoir été causée par un boulet de canon, rebondissant inexorablement vers lui à travers le champ de bataille de Borodino. Quoi qu’il en soit, la jambe aurait dû être amputée sur place dans un poste de secours mais, lors de cette grande bataille, la demande en matière de chirurgie avait largement dépassé l’offre et il semblait que le camarade du soldat blessé l’avait aidé à faire tout ce chemin jusqu’à Moscou dans l’espoir de trouver une place dans un hôpital. Désormais, la discussion portait sur une place dans la charrette.
    — Mais cet homme est mort ! argua l’ami du dragon boiteux, en montrant l’homme du milieu sur la charrette. Jetez-le et donnez sa place à quelqu’un qui a encore une chance.
    — Il n’est pas mort, insista l’un des hommes de trait. Il est comme ça depuis des jours, depuis que nous l’avons ramassé. S’il était mort, il serait en train de pourrir maintenant. Ton ami sent plus mauvais que lui.
    C’était tristement vrai. La gangrène qui s’était établie dans la blessure de l’homme s’était très probablement déjà suffisamment étendue pour emporter toute sa jambe, sinon sa vie. Je me frayai un chemin en avant pour examiner l’homme sur la carriole.
    C’était évident : il était très certainement mort.
    Son visage, ses bras et son cou comportaient de nombreuses coupures et éraflures, mais rien qui ne semblait être la cause de sa mort. Son uniforme vert sombre était taché d’une quantité inimaginable de sang qui pouvait tout aussi bien avoir appartenu à quelqu’un d’autre mais qui, s’il était le sien, expliquait non seulement sa mort mais aussi la terrible pâleur de sa peau. Il n’y avait aucun signe de respiration, aucun indice de battement de cœur, et son corps était froid comme de l’eau. Je soulevai ses paupières et plongeai mon regard dans des yeux morts et menaçants. Les énormes pupilles noires – qui s’étaient dilatées au point d’oblitérer les iris – n’eurent pas la moindre réaction à la lumière du soleil.
    — Il est mort, annonçai-je, essayant de traduire une certaine autorité qui remplirait l’objectif de donner à ce pauvre homme boiteux une place sur la charrette.
    — Alors pourquoi ne pourrit-il pas ? demanda l’un des hommes qui l’avait transporté à travers la ville.
    C’était certainement un phénomène étrange. Il se pouvait, naturellement, que l’homme ait été vivant lorsqu’ils s’étaient mis en route et qu’il n’était mort que récemment bien que, à en juger par sa température, cela faisait au moins un jour. Mais il était indubitablement mort maintenant.
    — Je ne sais pas, dis-je en donnant l’impression que je ne m’en préoccupais guère non plus, ce qui était le cas.
    J’entrepris de traîner le corps hors de la charrette.
    — Attendez ! C’était la voix d’un prêtre qui avait émergé quelque part parmi les badauds.
    Il parlait doucement mais, grâce à la résonance de sa voix et la distinction de sa profession, il commandait le respect immédiat de la foule.
    — Il y a peut-être une raison à cela, dit-il en s’approchant du corps. (Il l’examina à peu près de la même manière que moi mais avec davantage de sens de la mise en scène que l’on attend – je suis désolé de devoir le dire – d’un prêtre.) Il est mort. Ce gentilhomme a tout à fait raison. (Les gens me regardèrent et acquiescèrent, plus satisfaits par ma conclusion maintenant qu’elle avait été confirmée par quelqu’un en qui ils pouvaient avoir confiance.) Et il est mort depuis de nombreux jours. (C’était davantage que je n’aurais osé avancer.) Et pourtant le corps ne se décompose pas.
    Le prêtre éleva la main du cadavre et la baisa. Puis il

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