Douze
cœur est avec vous. Votre ami Max (il s’adressait désormais directement à Domnikiia) a été un homme courageux jusqu’à la fin.
La pause entre « courageux » et « jusqu’à la fin » ne fut audible qu’à mes oreilles.
Elle lui prit la main et la tint entre les siennes.
— Merci, Iouda, dit-elle. Merci d’avoir dit cela de Max.
Il éleva sa main droite et la baisa de nouveau. Puis il souleva son chapeau à la fois à l’intention de Margarita et Domnikiia.
— Au revoir, chères amies. J’espère que vous apprécierez toutes les deux votre séjour à Iouriev-Polski. Si Alexeï est la moitié du soldat que je sais qu’il est, nous aurons bientôt restauré pour vous la sécurité dans cette ville. (Puis, se tournant vers moi : ) Je suis sûr que vous avez vos adieux à faire, Alexeï. Je vais vous attendre.
Il s’éloigna, se dirigeant vers le banc d’où j’avais pour la première fois vu Domnikiia, presque un an auparavant.
Je remarquai que les deux femmes suivaient son départ en souriant. Je soulevai mon chapeau à l’intention de Margarita, avec le sentiment que ce geste ne serait perçu que comme une pâle imitation de Iouda.
— Au revoir donc, Margarita Kirillovna. J’espère que nous allons nous revoir bientôt.
Margarita sourit puis, après un moment, se rendit compte que c’était elle dont j’avais anticipé le départ.
— Ah, oui, dit-elle. Ne laissez pas la porte ouverte trop longtemps.
Elle disparut à l’intérieur.
— J’aurais dû me douter que tu voulais parler de Maxime, dis-je à Domnikiia.
— Oh, c’est bon. (Elle semblait préoccupée à l’idée de m’avoir causé du souci.) Je sais que tu n’en as pas envie. Mais c’était bon d’entendre Iouda dire d’aussi belles choses à son sujet. Il semble être un homme appréciable. Ce n’est pas son vrai nom, n’est-ce pas ?
Il me fallut un moment pour comprendre que la question était une plaisanterie.
— Non, ris-je. Non, ce n’est pas son vrai nom, mais je n’ai aucune idée de son nom réel.
— Tu ferais mieux d’y aller. Il t’attend.
Nous nous embrassâmes pendant ce qui sembla n’être qu’un instant, bien que cela ne puisse jamais être assez long, et elle rentra dans le bâtiment, le son des verrous confirmant une séparation qui, pour autant que je sache, pouvait être définitive.
Je rejoignis Iouda. Assis à côté de lui sur le banc, après une arrivée discrète et silencieuse, se trouvait Matfeï.
— Que voulez-vous ? demandai-je sans parvenir à dissimuler mon hostilité.
— Tout d’abord, dit Iouda, je voulais vous confirmer que Maxime Serguéïevitch est mort. Je sais que, dans ce type de situation, toute trace de doute peut vous consumer.
— L’avez-vous ramené pour l’enterrer ?
— Guère réalisable, je le crains, en ces temps dangereux, mais croyez-moi, on s’est occupés du corps de manière appropriée. (Il vit mon expression.) Rappelez-vous, Alexeï Ivanovitch, nous venons nous aussi d’un pays chrétien, dit-il avec un désir sincère de me convaincre.
Je pris conscience de ma grossièreté. Nous étions toujours du même bord.
— Merci, dis-je. Et le second point ?
— Décider de ce que nous allons faire ; militairement parlant.
— Je ne sais pas. Je dois en discuter avec Vadim, Dimitri et… (c’était un réflexe) avec Vadim et Dimitri.
— Pour être honnête, nous en avons déjà parlé avec Vadim. Nous pensons qu’il est préférable pour nous de rester cachés à Moscou lorsque les Français arriveront. Nous pourrons alors provoquer une confusion maximale. Nous pouvons soit les affaiblir, afin qu’ils n’osent pas poursuivre jusqu’à Pétersbourg, soit même les forcer à quitter Moscou, purement et simplement.
— Juste à vous douze, libérer Moscou ? Vous neuf, maintenant.
Je remarquai brusquement les proportions égales de nos pertes et me rappelai qu’eux aussi étaient des hommes et qu’ils ne devaient pas pleurer la perte de leurs camarades moins que moi celle de Max.
Iouda devint froid et parla comme un artisan dont la qualité du travail a été insultée.
— Vous avez déjà vu ce dont sont capables quelques-uns d’entre nous seulement.
— C’est vrai.
En toute honnêteté, cela semblait être un bon plan. Le type de tactique que j’avais vu les Opritchniki utiliser n’était pas le plus adapté pour attaquer une armée en marche. Mais une armée au repos, loin de chez elle, dans une ville étrangère,
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