Druides et Chamanes
rien de commun avec la Réalité, laquelle nous échappe constamment, comme l’a montré si habilement Platon dans la célèbre allégorie de la Caverne. Nous ne voyons que le reflet des réalités supérieures, autrement dit nous ne percevons que les phénomènes qui ne sont que les conséquences sensibles de ce que le philosophe prussien Kant appelait les noumènes , terme désignant cette Réalité ineffable, et finalement incompréhensible. Il faut alors se souvenir de ce que constatait, quelque peu amèrement, Jean-Paul Sartre : « Nous sommes des paquets d’existants jetés sur terre sans savoir comment ni pourquoi. » Position agnostique, bien entendu, à laquelle Sartre prétendait apporter une solution : « L’existence précède l’essence », ce qui veut dire que c’est l’être humain qui définit, par son action, son essence dans un perpétuel devenir.
Mais Sartre a oublié que Dieu n’existe pas . À y réfléchir, Dieu (nom commode, devenu commun, mais qui ne fait que désigner la Cause primordiale) n’ existe pas, au sens étymologique du terme. Il est , et c’est nous qui existons, c’est nous qui, toujours étymologiquement, sortons de . On ne sait pas de quoi, mais le fait est là. Nous sortons de « quelque chose » et nous tentons de savoir de quoi il s’agit. Là est l’origine de tous les systèmes de pensée métaphysique, l’origine de toutes les religions. Et l’origine de toutes les guerres de religion, de toutes les intolérances, de tous les abus de pouvoirs, et de toutes les spéculations sur la place de l’Homme et de son destin dans le cadre d’un univers inconnu et, sinon illimité, du moins probablement infini, toujours au sens étymologique, « non fini », « non achevé », « non parvenu à sa perfection »… Le philosophe grec présocratique Héraclite, génial promoteur – sinon inventeur – de ce qu’on appelle la Dialectique à trois termes (thèse, antithèse, synthèse), revivifiée par Hegel et complètement renversée par le matérialisme historique athée de Feuerbach et de Karl Marx, avait déjà compris que si tout est dans tout, rien n’est identiquement dans tout. C’est l’un des épigones aberrants de Platon, Aristote, maître à penser du Moyen Âge, relayé par Thomas d’Aquin, théologien officiel du Christianisme romain, qui a tout faussé en introduisant dans la pensée occidentale cette notion pernicieuse du « ce qui est faux n’est pas vrai, et inversement ».
Évidemment, la réaction contre cette doctrine arbitraire et restrictive ne s’est pas fait attendre, comme en témoignent les soi-disant « hérétiques » qui se sont succédé au cours des siècles jusqu’à nos jours. Mais, à présent, cette « réaction » s’opère dans tous les sens, et dans la confusion la plus totale. Oui, il faut retrouver le message originel, oui, il faut reconstituer la tradition primitive. Mais comment ? Là est toute la question. Quand Shakespeare fait dire à Hamlet : « To be or not to be », il savait parfaitement ce que cela signifiait. Mais la traduction française « être ou ne pas être » est un non-sens. Le verbe anglais to be , apparenté au gallois bydd et au breton bed , termes qui désignent le « monde », un « monde organisé, visible, relatif », est l’équivalent du mot français « exister ». Il n’a jamais eu le sens d’ être . Quand Hamlet pose cette célèbre question, il ne fait allusion qu’à la présence humaine dans le monde des relativités. L’ Être , c’est bien autre chose. Et les « existants » de toutes confessions ont beau prétendre détenir la Vérité, ils ne sont que des Fous de Dieu prêts à assumer et à concrétiser n’importe quel crime, au nom de ce Dieu (que celui-ci soit nommé Allah, Iahvé ou le Père Éternel), sans même savoir – ou sans même tenter de savoir – ce qu’est cette appellation arbitraire héritée du grec, comme l’a fort bien mis en évidence Georges Dumézil. Il n’est que l’image concrète d’une entité divine parfaitement abstraite, mais personnalisée et présentée sous des aspects anthropomorphiques. En définitive, dans notre pauvre vocabulaire, ce terme ne fait que désigner un Être Primordial innommable et inconnaissable.
D’ailleurs, ce « dieu » ne s’est jamais manifesté que par la voix des existants . Le Iahvé hébraïque ne nous est connu que par l’intermédiaire de Moïse – et de ceux qui
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