Druides et Chamanes
disparue depuis le IV e ou le V e siècle de notre ère, mais reconstituée arbitrairement – et seulement de façon conjecturale – par quelques intellectuels « illuminés » à partir du XVIII e siècle, en Grande-Bretagne. Ce « néo-druidisme », puisqu’il faut l’appeler par son nom réel, n’a absolument rien de commun avec la religion vécue aux temps de l’indépendance celtique, au début de notre ère, et pour cause : cette religion interdisait l’usage de l’écriture et l’on ne possède aucun document autochtone authentique pour avoir le droit de la définir, tant par ses structures que par ses doctrines {4} . Quelle que soit la bonne foi des « néo-druides » contemporains, quelle que soit la valeur de leurs recherches, il faut bien admettre que le druidisme, tel qu’il a été vécu pendant des siècles par une grande majorité de la population européenne, est perdu à tout jamais et que toute tentative pour le faire renaître n’est qu’un jeu de l’esprit.
Cette incertitude concernant les anciens druides est due à un manque évident d’informations historiques sur les rituels qui devaient être en usage en ces lointaines époques. Mais, si l’on en croit les témoignages de l’Antiquité grecque et latine, les druides, qui enseignaient l’immortalité de l’âme et la renaissance dans une autre vie, étaient considérés comme des « philosophes », experts en sciences de l’univers, et des « mages » ( magi ), à la fois devins et opérateurs de pratiques magiques. Dans ces conditions, pour combler les vides d’une information incomplète, la tentation est forte de faire entrer en jeu la « sorcellerie », toujours plus ou moins vivante dans les traditions populaires, cette sorte de prolongement quelque peu dégénéré de la magie primitive telle qu’elle était vécue et pratiquée dans cet illud tempus , ce temps lointain des origines, lorsque l’existant humain savait encore régir les mécanismes les plus mystérieux d’un monde en perpétuelle évolution. Or, la « sorcellerie », personne ne sait exactement en quoi elle consiste, sauf ceux qui prétendent en détenir les secrets. Et dans l’opinion courante, du moins en Europe occidentale, les sorciers de village ont la réputation d’être les héritiers à la fois des druides celtes et des « hommes médecine », c’est-à-dire des chamanes , qui, au début du XXI e siècle, sont toujours en activité dans le nord et le centre de l’Asie (malgré la soviétisation et les influences chrétiennes ou musulmanes), dans le nord de l’Europe (chez les Lapons) et, bien entendu, dans le Nouveau Monde, chez les Esquimaux et les derniers « Peaux-Rouges », rescapés du génocide déclenché par de bons chrétiens européens contre des Amérindiens qui ne demandaient rien d’autre que de continuer à vivre selon leurs traditions dans les vastes espaces qu’occupaient leurs ancêtres.
C’est dire que, malgré les apparentes ruptures et les révolutions idéologiques qui se sont succédé au cours des siècles, les antiques croyances et les cultes afférents ont la vie dure. « Une bonne partie du christianisme lui-même s’éclaire par l’étude des cultes qui l’ont précédé. Toute religion actuelle est en effet le dernier aboutissement d’une longue série de croyances et de rites, transmis de génération en génération depuis l’âge préhistorique, transformés, altérés, adaptés, mais survivant aux révolutions religieuses même les plus violentes. […] Le paysan du XVIII e , sinon du XX e siècle, et le chasseur de l’âge de la pierre, qui vivait un ou deux millénaires avant l’ère chrétienne, ont plus d’idées communes qu’on ne le pense généralement. En effet, lorsque l’Église conquit, du II e au X e siècle, les païens qui habitaient la Gaule, Gallo-Romains ou Barbares, elle se garda bien de heurter de front, avant d’être toute-puissante, les croyances de l’époque ; presque toujours, elle se contenta de les assimiler tant bien que mal à sa propre doctrine. Pour s’imposer aux païens, le christianisme se teinta de paganisme, il devint païen, peut-on dire ; et doit-on s’en étonner ? L’Église primitive ne fut-elle pas composée d’une réunion de païens ? Or, les nouveaux convertis ne dépouillèrent pas, du jour au lendemain […] ni leur hérédité, ni leur culture intellectuelle et morale ; ils apportèrent donc au
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