Du sang sur Rome
souvenir, je la voyais nue, debout
contre un mur sombre). Le même sang avait dû couler le long de ses cuisses
quand son père l’avait dépucelée. Le même sang jaillirait de la chair de sa
chair, si les juges déclaraient son fils coupable de parricide et le
condamnaient à être flagellé en public puis enfermé dans un sac plein de bêtes
féroces. Je regardai fixement la tache jusqu’à ce qu’elle devienne si énorme
que je ne voyais plus rien d’autre. Même alors, elle ne me suggéra aucune
réponse à mes questions, ne me révéla rien sur les vivants ou sur les morts.
Je me redressai en gémissant, car mes jambes et mon dos
étaient encore douloureux après le saut de la nuit précédente. Je fis quelques
pas pour scruter l’intérieur de la boutique. Le vieil homme était assis au
fond, derrière le comptoir, la tête dans ses mains, les yeux fermés. La femme s’affairait
autour des tables et des rayons à moitié vides. Un air humide et frais où se
mêlaient une odeur de pourriture et un parfum de musc parvenait de la boutique.
J’entrai dans la maison d’en face. Point de veilleur au
rez-de-chaussée. Son collègue en haut de l’escalier dormait, la bouche grande
ouverte, il tenait à la main une coupe à demi pleine, inclinée de telle sorte
qu’à chaque ronflement quelques gouttes de vin tombaient par terre.
Sous ma tunique je tâtai le manche du couteau que m’avait
donné le garçon muet et je restai immobile un long moment en me demandant ce
que je pourrais leur dire à tous les deux. À la veuve Polia, que je connaissais
le nom des hommes qui l’avaient violée ? Que l’un d’eux, Barberousse,
était mort ? Au petit Eco, qu’il pouvait reprendre son couteau, car je n’avais
nullement l’intention de tuer Magnus ou Mallius Glaucia à sa place ? Sans
doute Polia et son fils n’étaient-ils pas chez eux. Pourtant c’est le cœur
battant que je frappai chez eux.
Une fillette ouvrit la porte en grand, ce qui me permit de
voir toute la pièce. Une vieille femme était blottie dans un coin sous des
couvertures. Un petit garçon agenouillé devant la fenêtre ouverte me jeta un
coup d’œil, puis se remit à regarder ce qui se passait en bas dans la rue. La
pièce avait les mêmes dimensions, la même forme et pourtant tout paraissait
différent.
Deux yeux larmoyants apparurent entre les couvertures.
— Qui est-ce, mon enfant ?
— Je ne sais pas, grand-mère, dit la fillette en me
regardant d’un air soupçonneux.
— Qu’est-ce qu’ils veulent ?
— Ma grand-mère veut savoir ce que tu veux, demanda la
fillette exaspérée.
— Je veux voir Polia, répondis-je.
— Elle n’est pas ici, cria le petit garçon qui était à
la fenêtre.
— J’ai dû me tromper de chambre.
— Non, dit la fillette, agacée. C’était bien sa
chambre, mais elle est partie.
— Je veux dire la jeune veuve et son fils, le petit
garçon muet.
— Je sais, répliqua la fillette en me regardant comme
si j’étais simple d’esprit. Polia et Eco ne sont plus là. Elle est partie la
première et lui ensuite.
— Tu veux dire que Polia est partie sans emmener le
garçon ?
— Elle l’a abandonné, dit la vieille femme.
— Je ne le crois pas.
— Elle ne pouvait plus payer le loyer, insista-t-elle
en haussant les épaules. Le propriétaire lui a donné deux jours pour s’en
aller. Le lendemain matin elle était partie. Elle a pris tout ce qu’elle
pouvait emporter et elle a laissé le garçon se débrouiller tout seul. Le jour
suivant, le propriétaire est venu, il a pris les affaires qu’elle avait
laissées et il a jeté le garçon à la rue. Eco est resté quelques jours dans les
environs. Les gens avaient pitié de lui et lui donnaient des restes à manger.
Et finalement les vigiles l’ont emmené.
En ce début d’après-midi les affaires marchaient bien à la
Maison aux Cygnes. C’était dû au changement de temps, expliqua le propriétaire :
« La chaleur les stimule, les met en ébullition, mais quand il fait trop
chaud, même un homme vigoureux est flapi. Maintenant que la température est à
nouveau supportable, ils reviennent en foule. Ils ont besoin d’évacuer toutes
leurs humeurs… Vous êtes sûr que la jeune Nubienne ne vous intéresse pas ?
C’est une nouvelle, vous savez. »
Il poussa un soupir de soulagement quand un homme grand,
bien habillé, qui venait du couloir, entra dans le vestibule. Le soupir
signifiait qu’Electra
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