Eclose entre les lys
baron
breton était allié aux Anglais, avant de se ranger sous la bannière du grand Du
Gesclin.
— Mettez-vous en doute ma fidélité à notre
bien-aimé sire Charles le sixième ? postillonna Clisson au visage de son
adversaire.
Les deux hommes étaient dressés l’un contre l’autre,
s’imposant leur large carrure : le duc dans son immense houppelande, l’homme
de guerre dans sa cotte de mailles. Ils allaient en venir aux mains…
Un cri aigu vrilla soudain les oreilles du Conseil,
arrêtant net l’emportement des deux jouteurs.
Alors chacun s’avisa du roi. Grimpé sur son trône,
il était en proie à une spectaculaire crise nerveuse : il bavait, trépignait
et se contorsionnait d’incroyable façon, poussant un long hululement strident. Le
jeune souverain avait déjà été sujet à de telles crises, mais cette fois, il
semblait atteint du haut-mal [45] .
Enfin, un son libérateur et cohérent réussit à
sortir de sa bouche :
— Cessez !
Épuisé par cet effort, vidé soudainement de ses
forces, il se laissa choir sur son siège. Des larmes jaillirent de ses yeux.
— Nous ferons guerre à outrance, souffla-il
dans le silence, à ce méchant duc de Gueldre qui apporte la discorde au
sein de mon gouvernement.
Alors le Boucher borgne sortit de la salle à parer
en grommelant :
— Nous en reparlerons !
Il en reparla, mais pas avec le roi, avec les
Marmousets. Le lendemain, Clisson faisait parvenir au duc de Bourgogne un
billet d’excuse où il faisait valoir la trop grande tension où l’avait mis l’affront
de l’Hermine. Il l’assurait qu’il conduirait le voyage d’Alemanie avec un zèle…
tout particulier.
Isabelle fut rassérénée d’apprendre qu’Olivier de Clisson
s’était rallié à Montjoie Isabelle, à laquelle s’étaient également joints le
grand amiral Jean de Vienne et autres capitaines. Le voyage d’Alemanie
tournait à la guerre contre le duc de Bourgogne, qui ne s’en doutait pas. Pour
le coup, la jeune souveraine demanda à Mézières de lui apporter livres, parchemins
et enluminures qui se rapportaient au sacre. Elle voulait en connaître tout le
rituel et la symbolique. Ainsi, les événements se déroulaient à sa satisfaction.
Cependant, elle gardait grande pitié pour le roi : à le presser ainsi de
toutes parts, n’allait-on pas le rendre malade ?
Elle-même se sentait rouée, son terme approchait, et
une forte douleur à la cuisse la tenait souvent couchée. Pourtant, la future
mère n’était point si grosse, ce qui présumait d’un enfançon de petite taille. Isabelle
s’inquiétait aussi de ne pas le sentir trop bouger, à l’inverse de sa première
grossesse, où le vigoureux petit Charles ne lui laissait guère de répit.
*
À la Saint-Barnabé, Louis d’Orléans vint résider à
la Bergerie avec son nain Capucine. Le mois de juin était radieux. Isabelle, ne
voulant point gâcher si beau temps en gardant la chambre, s’était fait dresser
un pavillon de toile dans l’un des vergers pour s’y délasser en plein air.
Elle se tenait sur un lit de repos ; une
agnelle y dormait dans les coussins. Celle-ci, qui était née si chétive qu’elle
n’avait pas la force de boire, avait été repoussée puis abandonnée par sa mère.
Les bergers avaient apporté l’orpheline à la reine qui l’avait sauvée en la
forçant à téter un chiffon imbibé de lait. Elle l’avait appelée Edelweiss, du
nom de cette fleur cotonneuse de ses montagnes perdues, et Edelweiss ne la
quittait plus, comme un petit chien.
Le jeune Orléans était vautré dans l’herbe auprès
de la tente où se tenait Isabelle qui somnolait, caressant d’une main légère la
douce toison de son agnelette. Louis était d’humeur chagrine, ressassant l’aventure
fâcheuse qui l’avait amené à se retirer à Saint-Ouen.
Cet incident, survenu à Paris, tourmentait sans
répit son amour-propre. Il prouvait aussi que la conjuration avait grand tort
de penser que le duc de Bourgogne ne se doutait de rien.
Cela s’était passé quelques jours auparavant, au
soir de la Saint-Syre. Une réunion de chevaliers conjurés avait été prévue à la
taverne de La Pomme qui croque, sise rue Perdue près de la place Maubert
du quartier de l’université. Cette assemblée clandestine devait y débattre du
voyage d’Alemanie, et y recevoir les dernières instructions transmises par le
duc d’Orléans et Craon, véritables agents de liaison entre
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