Eclose entre les lys
tant encore, que le duc félon invita Olivier de Clisson à
visiter son château de l’Hermine en construction, pour y prendre son avis. Mais
ce n’était que guet-apens fourbe et cruel. Ce mauvais duc tient depuis notre
bien-aimé connétable enfermé dans ladite citadelle, et menace de le mettre à
mort.
Tant de félonie, Madame,
m’accable et me fait souhaiter n’être qu’auprès de vous, à baiser la douceur de
vos lèvres vermeilles…
Et cetera, et cetera, abrégea le cordelier avec
impatience.
Isabelle s’arrêta, pensive, le regard perdu.
— À la fin, ils vont le rendre fou, murmura-t-elle.
— Il me semble aussi que notre malheureux roi
ne sait plus où donner de l’affront, admit son confesseur en roulant la missive.
Il l’enfouit dans la vaste poche de son aube d’où
il tira une autre lettre.
— Voulez-vous que je vous lise à présent le
billet de messire de Mézières ?
— Faites, et voyons ce qu’en dit mon docte
précepteur.
— Je vous passe les formules de politesse d’usage
dont les circonvolutions me fatiguent, grogna le confesseur en parcourant le
début de la lettre.
— Passez outre, frère Jean, consentit
Isabelle en souriant, sachant combien les redondances courtoises l’exaspéraient.
— Voilà, j’y suis, dit-il en se mettant à
lire :
Le roi est dans une
colère extrême, notre sire ne sait s’il ne va pas changer de guerre et porter
l’ost royal en Bretagne. Mais le duc de Bourgogne ne veut point que son
voyage d’Alemanie soit différé et dilapidé…
— Ce qui ne ferait pas nos affaires non plus,
le coupa Isabelle, mais malheureusement, je connais l’affection que porte
Charles à Olivier de Clisson, et je ne doute pas de quel côté va tourner
sa colère… Que dit encore monsieur de Mézières ?
— Qu’il le craint aussi. Il rapporte que le
roi a déjà fait parvenir à Jean de Montfort une sommation qui menace fort
la paix avec la Bretagne, résuma-t-il avant de reprendre sa lecture à haute
voix :
Nous avons pensé à
la médiation du sire de Craon, cousin du duc de Bretagne, que nous avons
diligenté à Vannes où il se trouve pour l’heure. Que Dieu lui donne bonnes
paroles afin de convaincre Jean de Montfort à rendre au roi son connétable,
vif et sans délai.
Isabelle sentit une douleur qui la tiraillait dans
la jambe gauche. Elle mit les deux mains sur ses reins, se cambrant en arrière,
pour soulager la pression de son ventre. Elle avisa un banc et s’y assit.
— Ainsi, le voyage d’Alemanie risque d’être
rompu, soupira-t-elle avec une grande lassitude, songeant à son sacre dont le
jour glorieux s’éloignait à nouveau.
La reine, qui supportait mal les derniers mois de
sa grossesse, affichait soudain une mine si défaite que Jean la Grâce en fut
inquiet ; il cacha son anxiété en lançant une boutade :
— Mézières en appelle à Dieu, Craon en
appellera au Diable qui lui est encore plus proche cousin que le duc de
Bretagne. Le connétable de Clisson sera promptement de retour, madame.
— Est-ce encore une de vos prédictions ?
répondit Isabelle en s’arrachant un sourire.
— Bah ! Nul besoin de lire dans les
astres pour comprendre que Montfort hait Clisson, mais craint bien plus encore
la colère du roi de France. Il n’est pas aussi fol que le duc de Gueldre.
Sans doute le Diable entendit-il Craon. Le duc
relâcha le Boucher borgne contre cent mille francs, et la remise de ses fiefs
bretons en échange de sa liberté. Après sa libération à ces conditions
déshonorantes, Olivier de Clisson ne mit pas plus de quarante-huit heures
pour s’en venir droit de Vannes jusqu’à Paris, afin d’en appeler à la justice
du roi. Mais aussi, et surtout, il se devait de lui rendre l’épée de France qu’il
avait déshonorée.
Car, comme chacun le savait, tomber dans un tel
traquenard était indigne pour un simple chevalier. Un connétable ne pouvait s’en
remettre, et ne pouvait que se démettre de sa noble fonction. Seul le roi
pouvait la lui rendre s’il l’en jugeait digne.
Les Marmousets firent alors courir le bruit selon
lequel Charles VI, lassé des revers des dernières campagnes, comptait
accepter le désistement d’Olivier de Clisson. Le duc de Bourgogne
souhaitait tant se débarrasser de celui-ci, avait expliqué Mézières à Isabelle,
qu’il pouvait être tenté de croire à cette rumeur, jusqu’à prendre le risque de
proposer un sien
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