Eclose entre les lys
princesse, qui n’avait jamais quitté son château natal, avait protesté
avec énergie. Son père l’avait semoncée d’importance, lui rappelant ses devoirs
d’obéissance et de bonne chrétienne.
Et c’est ainsi qu’à peine avertie de ce voyage, Isabelle
avait dû s’en aller sous la protection des hommes d’armes de son oncle Frédéric,
accompagnée d’une maigre suite bavaroise, dont sa bonne nounou chambrière, Miette,
dite la Clabaude, parce qu’elle clabaudait tout le temps, et son amie Catherine
de Fastatavin.
Jeanne de Brabant laissa la nounou prendre
tout juste le nécessaire dans un coffre hâtivement rempli. La Clabaude avait
beaucoup récriminé sur cette insuffisance indigne d’une princesse, mais la
douairière avait rétorqué, avec une grimace de désapprobation, que la
garde-robe de la demoiselle de Bavière sentait par trop sa montagne et qu’elle
la pourvoirait en chemin. Le trousseau fut en effet fort bien pourvu lors de
leur passage à Bruxelles, où les attendait une très illustre dame, Marguerite de Flandre,
duchesse de Bourgogne.
L’étape bruxelloise s’était éternisée en séjour de
trois semaines, durant lesquelles les duchesses s’étaient relayées pour
martyriser la princesse de Bavière. De son maintien jusqu’à ses bijoux, de
ses cheveux jusqu’à la pointe de ses chausses, tout avait été méticuleusement
surveillé, transformé, travaillé par les intraitables femmes. On avait exigé d’elle
qu’elle supporte avec patience les essayages des atourneresses, qui s’affolaient
dans un tourbillon d’étoffes précieuses, de passementerie et d’orfèvrerie.
Or Isabelle manquait de patience. Il n’y avait
guère eu que le maître à danser qui ait trouvé grâce à ses yeux. « Est-il nécessaire
de savoir se bien tenir en cour et de danser la sarrasine pour aller faire ses
dévotions au chef de saint Jean-Baptiste, madame ? » avait-elle
demandé à la douairière de Brabant.
La traitant d’impertinente, celle-ci lui avait
répondu que Dieu et ses saints aimaient à être priés avec le luxe qui leur est
dû. Et pourtant, sa mère Thadée Visconti lui avait dit naguère bien autre chose :
que le luxe est la parure du Diable et de ses démons, et qu’il engendre la
luxure.
Isabelle n’avait jamais songé à demander ce que « luxure »
voulait dire. Brusquement, elle se remit sur son céans, arracha un épi de blé
qu’elle froissa entre ses paumes.
— Où est Ozanne, elle n’était pas avec toi ?
demanda-t-elle à Catherine, qui s’était allongée près d’elle, une touffe d’herbe
en guise d’oreiller.
— Si fait ! Mais la duchesse de Brabant
l’a fait rappeler.
La princesse de Bavière souffla dans sa main
pour faire s’envoler la paille et enfourna les graines encore tendres dans sa
bouche.
— À quoi bon me la donner, si c’est pour la
garder par-devers elle ? bougonna-t-elle en mâchonnant.
La pulpeuse Ozanne de Louvain lui avait été
attachée, lors leur passage à Bruxelles, comme demoiselle de compagnie. Pour la
princesse de Bavière, qui avait treize ans, les dix-sept ans d’Ozanne
faisaient d’elle une grande personne qui savait les choses passionnantes que l’on
ne doit pas savoir. Isabelle l’admirait, s’émerveillait de son charme, de sa
beauté, de sa blondeur et de ses yeux d’un bleu lumineux, translucide, un bleu
d’aigue-marine.
— Elle te l’a donnée le temps du pèlerinage. N’oublie
pas qu’Ozanne appartient à la maison de Brabant, lui rappela Catherine.
Elle aussi aimait bien la jeune fille, mais le
fait qu’elle soit à la douairière suffisait à éveiller sa méfiance. Isabelle cracha
rageusement son mâchon de blé.
— N’as-tu pas remarqué comment elle me
regarde entre ses paupières boudinées ? lança-t-elle avec irritation.
— Ozanne ?
— Mais non, M me de Brabant,
pardi ! Elle me regarde avec des yeux de maquignon, comme si j’étais une
pouliche à vendre qui aurait des vices cachés, assura Isabelle qui avait plus
souvent joué avec des enfants de fermiers qu’avec ceux de princes. Et plus on
approche d’Amiens, plus elle me regarde comme ça.
— Peut-être qu’il y a une foire aux
damoiselles comme il y en a aux bestiaux. C’est pourquoi elle t’a attifée avec
tant de luxe, rétorqua Catherine en éclatant de rire.
Isabelle resta songeuse un instant, les sourcils
froncés.
— Tu sais, toi, ce que « luxure »
veut
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