Eclose entre les lys
roi avançait seul sur son fier destrier harnaché de toupets de
plumes blanches et grelots. Les clameurs redoublèrent sur son passage.
En final, encadrée par des nobles duchesses de
sang montées sur leurs magnifiques cavales menées au mors par un écuyer à leurs
couleurs, avançait une litière fermée, empanachée et tendue de drap d’or où se
tenait la fiancée, la mystérieuse princesse de Bavière. Les gens d’armes
ne contenaient plus la foule qui, rompant les barrages, se referma derrière le
cortège qu’elle suivit jusqu’à la cathédrale.
Isabelle descendit de sa litière sur le parvis
dans une énorme bousculade. Elle se laissa conduire par son oncle Frédéric sous
le portail des mariages où se ferait la bénédiction nuptiale, avant de pénétrer
dans la cathédrale pour suivre la messe avec son époux.
La princesse de Bavière se tenait le buste
raide, étroitement moulée dans un surcot à la jupe traînante de velours
écarlate, brodé d’arbrisseaux d’argent. Les feuilles étaient faites de grosses perles
irisées montées en trèfle, frissonnant au rythme de ses pas. Dans son extrême
jeunesse, elle était d’une beauté émouvante. Ses cheveux tombants la recouvraient
comme un manteau vivant, son front était ceint de la couronne offerte par
Charles VI pour les fiançailles. Ceux qui eurent le privilège d’apercevoir
la future reine de France en garderaient un souvenir ébloui.
Après la cérémonie, ses cheveux furent remontés dans
une résille d’or par les dames d’atour avant son entrée dans la nef. Ils ne
seraient plus lâchés en public, comme pour toute femme mariée, sauf au jour de
son sacre.
*
Alors que parviennent par bouffées les ondes
puissantes des grandes orgues et les voix séraphiques des chantres, un sac
dérive et s’enfonce doucement dans la Somme. Il s’agite faiblement, l’eau a
ranimé la Barbaresque brisée. La boue lui entre dans la bouche, ferme les yeux
d’onyx et d’ivoire, l’enveloppe dans une nuit éternelle.
Son corps martyrisé dérivera peut-être jusqu’au
vaste océan, peut-être que des courants compatissants le déposeront tendrement
sur une côte d’Afrique, sur une plage d’un autre monde fait de sable fin et
chaud, au berceau de sa négritude.
7
Banquet et entremets
Il faut aimer et chérir beaucoup votre mari, car l’homme
est à l’origine de sa vie. J’en ai pour preuve la Genèse :
Dieu ôta une côte et de la chair à Adam. Et lorsqu’il
lui eut donné la vie, Il amena la femme à Adam, qui, considérant la créature
dit : « Voici l’os de mes os et la chair de ma chair. »
C’est pour cette raison que la femme doit obéissance,
soumission et beaucoup aimer son mari puisqu’elle fut créée à partir de la côte
de l’homme.
D’après Le Mesnagier de Paris [8]
Un vaisseau de haute mer avec tout un équipage
guerrier traversait majestueusement l’espace central de la grande salle, entre
les branches en U que formaient les tables somptueusement dressées. Les
convives debout criaient, trépignaient, applaudissaient, tapaient du couteau
sur les timbales de vermeil, ou jetaient sur la nef les roses et les lys qui
décoraient les nappes. Cette explosion d’enthousiasme accueillait la
représentation du départ de la première croisade. Nostalgie d’un idéal perdu, toujours
vivace dans l’âme populaire et chevaleresque. Le navire était fait de
parchemins enluminés tendus sur une monture de bois, montée sur roulettes. Des
acteurs costumés tenaient les rôles de Pierre l’Ermite, Gautier Sans-Avoir, Godefroy
de Bouillon et des croisés.
C’était la fin du troisième service, le temps de l’entremets,
nom donné au divertissement qui interrompt les festins, le temps de débarrasser
les tables pour le service suivant. Deux dais de velours fleurdelisés
surmontaient les places réservées de Charles VI et d’Isabelle de Bavière,
situés en milieu des tables qui se faisaient face, séparées de la largeur de la
salle. Les nouveaux mariés étaient assis sur de vastes cathèdres armoriées, la
reine du côté des femmes, le roi du côté des hommes.
À l’arrivée du tableau vivant, le roi avait poussé
un rugissement de triomphe et s’était juché droit sur son siège, allant jusqu’à
faire l’équilibriste sur les accoudoirs et le dossier pour se hisser plus haut.
Et l’assistance ne savait plus qui applaudir, du souverain acrobate ou de la
nef des glorieux croisés. Et
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