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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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menton. Il ressemblait à un
gros chat matois tandis que son frère faisait penser à un puissant loup solitaire.
    — À la presse tu opposes l’atermoiement, gronda
ce dernier. Le roi en appelle au ban et à l’arrière-ban. Le roi veut faire la
guerre d’Angleterre pour faire la paix.
    — Le roi ! s’esclaffa le Camus tout
en tournant ses nombreuses bagues sur ses doigts boudinés.
    Et sa large poitrine fut secouée d’un rire
silencieux. Son chien favori, de cette petite race de Poméranie qu’il
affectionnait, lui sauta sur les genoux. Il caressa distraitement l’épaisse
fourrure blanche du loulou qui se mit à se faire les dents sur l’énorme topaze
que son maître portait au majeur.
    — Tu ne veux que l’abaissement et la ruine de
l’Angleterre pour protéger ta chère Flandre, reprit le duc de Berry d’une
voix doucereuse. Où étais-tu alors que je négociais pour la troisième fois la
paix avec Lancastre [5]  ?…
Tu faisais réunir le Grand Conseil par notre gentil neveu, et tu en appelais à la
bataille outremer, accusant l’Anglais de vouloir gagner du temps de trêve en
trêve pour repousser la vraie paix. Les princes des Fleurs de lys ne peuvent
négocier la paix à Leulinghen et prôner la guerre à outrance à Paris.
    Bourgogne savait qu’il avait joué un mauvais tour à
son aîné en réunissant le Grand Conseil à l’insu du duc de Berry. Sa
mauvaise foi le fit hurler plus fort.
    — Leurs conditions sont inacceptables ! Qu’ont-ils
à faire de garder Calais, Cherbourg et Brest si ce n’est pour avoir pied en
royaume de France et y débarquer leurs troupes. Ils ne craignent pas la guerre
avec la France, ils n’en souffrent pas car ce n’est pas chez eux que l’on se
bat. Passons la mer, ruinons leur terre comme ils ruinent la nôtre et je gage
qu’ils seront moins difficiles sur les conditions de la paix. Le temps est venu
d’en finir !
    Berry savait que tous les chefs de guerre, Clisson,
Sancerre, Coucy ou Jean de Vienne étaient du parti de son frère. Charles VI
lui-même, dans son ardeur chevaleresque, jubilait devant la magnificence des
préparatifs de ce débarquement.
    Le Camus sourit encore dans son triple menton.
    — Il est plus facile de faire croire à
Charles qu’il est Guillaume le Conquérant que de convaincre mes sénéchaux à
lever une armée. La vie est dure en Languedoc.
    — Plus dure encore depuis ta lieutenance !
Tu ruines à ton profit.
    — Je gouverne au nom du roi mon neveu, gentil
frère.
    — Que nenni, tu spolies au profit de ton luxe.
    — Au profit de l’art, gentil frère, de l’art.
Je suis un mécène clairvoyant. Tu es un clairvoyant politique. Nous travaillons
chacun au meilleur de nos intérêts.
    Ce n’était que trop juste. Philippe, roi sans
couronne, menait la politique d’un souverain édificateur d’empire. Son frère le Camus
avait la passion ruineuse d’un collectionneur et d’un bâtisseur. Son goût
démesuré du faste exacerbait ses appétits financiers. Berry était du parti de
la paix, la guerre le ruinait.
    — Tu as toujours su gouverner le roi à ta
guise, reprit ce dernier, comme tu le maries aujourd’hui à ta guise. Et c’est
toujours à ta guise qu’il faudrait me soumettre à ton hégémonie ?… Envahir
l’Angleterre. Ce n’est pas mon affaire.
    Comme si toute discussion était devenue superflue,
le Camus piocha dans un drageoir une noix confite au miel épicé que le
petit chien happa goulûment au passage. Il en prit une autre et se la fourra
prestement dans la bouche afin de la déguster tranquillement.
    Comprenant qu’il allait falloir argumenter, Philippe
le Hardi changea de tactique. Il ravala sa colère et s’installa posément
dans un fauteuil.
    — Pour t’offrir les États du Languedoc dont
tu fais grand bénéfice, reprit-il avec un calme de mauvais aloi, tu oublies qu’il
fallut les ôter au comte Gaston Phébus de Foix-Béarn. On regrette fort
là-bas la lieutenance éclairée de ce dernier, et l’on gronde. Les Méridionaux
ont le sang chaud et la révolte prompte. Souviens-toi des Tuchins [6] . Le sang que tu as
fait couler n’a pas encore séché.
    Berry, qui se demandait où son frère voulait en
venir, s’énerva :
    — Et celui de Roosebeke [7] est-il sec ? La
terre de Flandre qui reçut le sang du massacre de milliers de tisserands
secouant le joug de ton beau-père fait-elle pousser des fleurs de lys ? Que
non point ! Mais c’est sous la

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