Eclose entre les lys
lorsque le roi se mit à hurler : « Dieu
le veut ! », la devise des valeureux chevaliers de la Guerre sainte, toute
l’assemblée se mit à scander « Dieu le veut ! ».
Ce genre de représentation avait toujours exalté
le roi au plus haut point. Ce jour-là, pourtant, son comportement était
anormalement agité. Cette nervosité avait commencé alors que l’archevêque de
Reims, Richard de Picque, conduisait la messe des noces. Le roi se levait à
contretemps, ne supportait pas l’agenouillement, préférant la station debout, où
il semblait à l’étroit dans ses vêtements de parade. Il manifestait une telle
impatience que monseigneur de Picque se hâta de conclure la cérémonie. À la
sortie sur le parvis, où les courtisans se bousculaient autour de la jeune
mariée, Charles avait profité de la cohue pour s’isoler un instant avec
Bois-Bourdon.
— Je n’ai plus de doute à ce que Dieu conduit
mon mariage, lui avait-il confié fébrilement. Alors que l’archevêque
baragouinait en latin que le Seigneur veuille élever nos âmes, voilà que ma
lance se dresse hautement et fièrement, prête à monter toute-puissante à l’assaut.
C’était justement comme je pensais à mon impuissance de la veille, ce qui me
rendait inquiet pour ma nuit de noces. N’y vois-tu pas là le signe divin ?…
Aussi, je rendis grâce au Seigneur de m’avertir qu’il m’avait rendu ma vigueur,
mais le signe persista si bien qu’il en fut torturant. Il me laisse encore
souffrir malemort, serré comme je suis dans mon pourpoint. Veut-Il par là me faire
sentir Son impérieuse présence ? Qu’en penses-tu, gentil Bourdon ?
Le seigneur de Graville songea immédiatement
aux yeux d’aigue-marine derrière le masque de velours.
— Encore un miracle, monseigneur, vous en
êtes si coutumier, répondit-il avec prudence. Vous êtes dans la main du
Seigneur qui vous fait savoir par là qu’il bénit votre union.
Charles parut très satisfait de cette réponse. Bois-Bourdon
cependant n’imaginait guère la puissance divine s’amusant à affliger le roi de
ce priapisme soudain. Il avait plutôt l’intuition que ce douloureux désagrément
était lié à cette boisson que lui avait tendue le beau masque. La demoiselle de Louvain !
Il l’avait déjà remarquée lors des grandes fêtes du Mai, alors qu’elle tournait
sans cesse autour du jeune roi. Il savait qu’elle était la créature de la
duchesse de Brabant.
La présence d’Ozanne dans un bordel n’était pas
innocente, pas plus – il en était à présent convaincu – que
ce philtre qu’elle avait donné à boire au roi. Qui avait armé sa main ? Si
c’était sa maîtresse, quel pouvait bien être l’intérêt de cette dernière à
mettre la virilité royale cul par-dessus tête ?
Depuis le début du banquet, le jeune souverain
semblait avoir repris son calme ; il avait d’ailleurs rassuré son favori
en lui affirmant que le signe turgescent de Dieu avait enfin lâché prise. Pourtant,
à le voir à présent ainsi perché, presque en grand écart sur les accoudoirs de
sa cathèdre, gesticulant et hurlant, le sire de Graville s’inquiétait à
nouveau de son état, et instinctivement, ses yeux se posèrent sur la princesse de Bavière.
Celle-ci devisait avec Louis d’Orléans qui s’était fait son écuyer tranchant. Il
la servait, découpait sa viande, remplissait son verre, précédant ses moindres
désirs. Comme tous les nobles barons, il faisait le service en l’honneur de
leur suzerain, comme le veut la coutume lors des grandes occasions. Le jeune
prince glissa quelques mots au creux de l’oreille de sa jeune belle-sœur qui
éclata de rire.
Bois-Bourdon les observait de son œil d’aigle. Isabelle
surprit son regard.
Elle surprenait trop souvent ce regard-là, il la
troublait. Elle ne savait qu’en penser.
— Qui est ce sombre chevalier toujours auprès
du roi ? demanda-t-elle à son beau-frère.
— Louis de Bois-Bourdon, sénéchal du
Berry et seigneur de Graville, le ribaud de mon frère, répliqua le jeune
prince avec dédain.
— Le ribaud ?
— Il est son âme damnée favorite.
Isabelle jeta un regard étonné au sire de Bois-Bourdon
qui ne les avait pas quittés des yeux. Manifestement, l’âme damnée du roi avait
compris que l’on parlait de lui. Elle s’efforça de prendre un air méprisant et
se détourna, mal à l’aise. Elle se sentait enivrée de l’atmosphère surchauffée
et
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