Eclose entre les lys
avait conduit la reine sur une estrade
où leurs dais avaient été accolés après le festin. C’était la suite de l’entremets,
Charles se mit à applaudir, toute la Cour l’imita.
Dans leurs oripeaux de couleurs vives, les
artistes acrobates exécutaient des roulades, des grands soleils, des sauts
périlleux, tout en s’échangeant des balles et des quilles multicolores qui
tourbillonnaient dans l’espace à une vitesse vertigineuse, météores d’arc-en-ciel.
Profitant de la distraction qu’apportait le spectacle, Catherine de Fastatavin
se glissa derrière la demoiselle de Louvain.
— Ozanne, que la reine ne me cherche pas. Dis-lui
que je suis malade et que je me suis retirée, lui murmura-t-elle.
— Tu es malade ?
— D’amour, répondit malicieusement Catherine
avant de s’éclipser.
Le cœur d’Ozanne se serra en la suivant des yeux :
Catherine rejoignait Adémard de Courtemay. Elle envia le bonheur de la
nouvelle chambellane, alors qu’elle-même vivait un amour impossible.
À ce moment, Charles VI se leva en poussant
des cris de joie et il y eut un « ha ! » général d’admiration
alors que le vaisseau des croisés faisait à nouveau son apparition. Simultanément,
par la porte opposée, des hommes en chèche et burnous rouges apportaient une
succession de trois remparts qu’ils rangèrent en ligne, censés représenter les
murs de la Ville sainte occupée par les Sarrasins. Aussitôt, la salle entière
se mit à les huer et leur crier des invectives.
Les jongleurs et les acrobates s’éclipsèrent pour
laisser la place aux croisés qui jaillirent en hurlant de la nef à l’assaut des
remparts de Jérusalem, munis de fléaux, haches, dards, miséricordes, ou autres
armes en cuir bouilli. Derrière les fortifications, les infidèles étaient
grimpés sur les échafaudages qui maintenaient debout le décor de bois. Ils
défendaient la ville à grands cris, faisant tournoyer leurs cimeterres de
carton au-dessus de leur tête en signe de défi. Les croisés escaladaient déjà
de courtes échelles qu’ils avaient accotées aux remparts. Les Sarrasins les
renversaient avec de bruyantes insultes alors que les croisés entonnaient un
cantique à pleine voix. Dans une inconcevable cacophonie, trois fois les
assaillants roulèrent sur le sol en d’acrobatiques roulés-boulés.
Le roi n’y tenait plus, trépignait d’impatience et
lança sur les Sarrasins sa timbale d’argent. Aussitôt, toute la noce se mit à
bombarder les infidèles avec tout ce qui leur tombait sous la main. La salle ne
résonna plus que du tintamarre des heurts, des cris et des injures dans un
désordre indescriptible.
— Un jour, ma mie, je me croiserai, et par
Dieu, je reprendrai le tombeau du Christ et déposerai toute la Terre sainte à
vos pieds, hurla Charles avec exaltation à Isabelle.
Et au comble de l’enthousiasme, il se rua dans la
bataille, et se joignit aux croisés qui tenaient à bras-le-corps un énorme
bélier. Avec des « han ! » de bûcherons, ils foncèrent en direction
du pont-levis dessiné sur le décor central. Ils prirent de la vitesse, et la
tête du gros madrier entra de plein fouet dans le rempart de bois. Toute la
structure vola en éclats. La brèche était faite. Elle vomit une horde de
Sarrasins, le cimeterre brandi, hurlant des imprécations. Un hymne d’action de
grâce lui répondit alors, il s’éleva avec vigueur. Charles, chantant lui-même à
tue-tête, arracha une épée de cuir à un comédien et engagea le combat avec
trois Sarrasins à la fois. La salle se transforma bientôt en champ de bataille
où infidèles, soldats de Dieu et noceurs se livraient à de furieux corps à
corps.
Debout sur son estrade, Isabelle battait des mains.
De sa vie, elle n’avait vu pareille exhibition. Prise dans l’euphorie générale,
elle criait son enthousiasme lorsqu’elle sentit un souffle à son oreille :
Zizka.
— Et c’est ainsi que les premiers croisés
vont conquérir Jérusalem. Ce sera un beau et grand et pieux massacre… pour rien.
— Pour rien ? Même pas pour Dieu ? lui
répondit-elle, choquée dans sa foi.
— Jérusalem sera reprise par les Turcs. Et de
guerres saintes en guerres saintes, les croisés mourront de faim devant Damas, mangeant
les selles de leurs chevaux et jusqu’à leurs propres excréments. Qui peut avoir
oublié Barberousse se noyant dans un torrent, ou le grand Saint Louis mourant
de dysenterie sous les murs de
Weitere Kostenlose Bücher