Eclose entre les lys
Tunis ? Les temps sont loin d’être venus où
l’on cessera de se disputer et de martyriser Jérusalem qui appartient au monde,
à tous les hommes, quand ils seront enfin des hommes de bonne volonté.
Les chants s’interrompirent pour faire place à un
formidable cri de triomphe. Il saluait la victoire sur les Sarrasins qui
gisaient tous sur le sol, figés dans une mort simulée. Isabelle oublia Zizka. Elle
tapait des mains, heureuse comme elle ne l’avait jamais été, fière de la
vaillance de son beau cavalier blond. Amoureuse.
Mais soudain, elle s’avisa que le roi piétinait
avec une rage peu commune un Sarrasin à terre. C’étaient des coups de pied à
réveiller un mort, et l’histrion tentait de parer comme il pouvait. Le visage
de Charles, qui exprimait à ce moment l’égarement de la haine, lui fit peur.
L’hystérie royale donna le signal de la curée. Tous
ceux qui jouaient les musulmans se firent bastonner et ne durent leur salut qu’en
prenant la fuite. Le sang coula.
À l’écart, Bois-Bourdon observait cette sauvagerie
sans surprise : il n’était jamais bon d’incarner les méchants au théâtre, mais
jouer sous le burnous et le signe du croissant, c’était presque du suicide. Cependant,
l’acharnement de Charles VI sur le comédien sarrasin lui fit douter de son
bon sens.
À ce moment, le messager de M me de Brabant
s’inclina devant lui, et lui tendit un billet. Il en prit connaissance, et
aussitôt ordonna de seller deux chevaux. Puis, repérant Ozanne dans l’assemblée,
il se hâta vers elle, la saisit d’une poigne ferme par le bras, et l’entraîna. Elle
cria de surprise et de douleur, puis le cœur lui manqua lorsqu’il lui dit :
— La duchesse de Brabant nous mande
sur-le-champ à l’Hôtel de Bourgogne.
Avant de quitter la salle, il s’arrêta et jeta un
dernier coup d’œil au roi. Des courtisans venaient de s’interposer et lui
avaient arraché le comédien sarrasin avant qu’il ne le tue.
Il eut le brusque sentiment d’un malheur imminent.
Ozanne et Bois-Bourdon avaient à peine quitté le
palais épiscopal que Charles, encore sous le coup de son emportement meurtrier,
rejoignait Isabelle sur son piédestal. Il fit un signe nerveux à son héraut d’armes,
puis s’empara de la main de sa jeune épouse.
— Ma douce amie, il est temps de se retirer, lui
dit-il en lui baisant la paume.
Les trompettes sonnèrent. Le silence se fit. Le
héraut annonça à pleine voix :
— Le roi et la reine vont se mettre au lit
ensemble !
Aussitôt, l’assemblée applaudit. Charles VI, tout
en saluant hâtivement, fendit la foule sans lâcher la main d’Isabelle qui
suivait, abasourdie. Dormir avec le roi ? Cette idée ne l’avait même pas
effleurée. Ses parents n’avaient jamais fait couche commune, et depuis toujours,
elle-même partageait son lit avec Catherine, même lorsque celle-ci avait été
mariée au sieur de Fastatavin. Sa peur fit place à l’effroi. Elle chercha
des yeux sa compagne d’enfance.
— Et Catherine, monseigneur ? Je ne peux
la laisser, supplia Isabelle qui se mit à résister et à se débattre.
Elle se sentait sans secours, soudain affreusement
seule. Même Ozanne avait disparu. Charles, malgré ses dix-huit ans, avait connu
beaucoup de femmes, des putains comme des vierges. Il connaissait les émois de
ces dernières, aussi brida-t-il son ardeur, et s’arrêta. Avec douceur, il passa
un bras autour de la taille de sa femme-enfant, l’attira contre lui, et lui
baisa longuement les lèvres sous les vivats et les applaudissements des
courtisans. Isabelle devint écarlate.
— Vous n’avez rien à craindre de moi, lui
murmura-t-il, je suis votre époux qui vous aime d’un amour le plus doux, le
plus révérencieux.
Puis il l’entraîna à nouveau, avec moins de fougue, malgré
cette impérieuse impatience qui lui vrillait le ventre jusqu’à la douleur.
8
Le Benedictio thalami
Exécution à Paris : Jean Delsay a eu la tête
coupée et plantée au bout d’une lance. Ses jambes et ses bras furent attachés
aux quatre portes de la ville, et son tronc suspendu au gibet.
Jean Delsay, créature de Charles le Mauvais,
roi de Navarre, avait été envoyé en France pour empoisonner les princes de
Berry et de Bourgogne. L’effet de ce poison était si terrible, qu’ils se
seraient sentis dévorés d’un feu extérieur et intérieur, qui leur eût arraché
des cris. Leurs cheveux seraient tombés
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