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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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Une note profonde fit vibrer le métal alors que
le marteau repartait sur sa trajectoire elliptique. Le même son grave lui
répondit. Dong !… Dong !… Et puis encore… et puis plus vite… Même les
pierres se mirent à trembler. Les battements se précipitèrent et s’amplifièrent,
insoutenables. Le marteau fut bientôt pris de frénésie, battant sans cesse d’un
côté et de l’autre, envoyant aux quatre points cardinaux sa sonnerie d’alarme :
le tocsin !
    Aux champs, aux étables, dans les boutiques, dans
les foyers, la vie s’arrêta. On écoutait : le tocsin !
    Bientôt, le bourdon du monastère de Saint-Maur lui
répondit, répandant l’alarme à son tour, puis les clochers et les chapelles
unirent leurs voix. Les carillons battaient à tout rompre comme battait le cœur
de ceux qui les entendaient, figés dans la même peur. D’où venait le danger ?
Quelle menace annonçaient les cloches à l’heure où elles auraient dû battre
paisiblement la prière de l’angélus de midi ?
    Alors chacun lâcha son ouvrage, qui le soufflet de
sa forge, l’aiguille de sa tapisserie, le pis de sa vache, sa houe, sa faucille,
ou son battoir. On se mit à courir aux nouvelles. Les rues de Nogent se mirent
à grouiller comme une fourmilière éventrée. Au même moment, des aboyeurs
parcouraient les hameaux et les campagnes :
    — Les Têtes-Noires, les Têtes-Noires !
    Il n’était pas une masure qui ne sût qui était
Geoffroy Tête-Noire et sa bande. Il était une véritable légende qui se gonflait,
répandue par les récits des colporteurs et autres pieds poudreux. Les bonnes
gens, accablées de frayeur et de superstitions, aimaient encore à se faire
raconter les horrifiques récits de pays lointains.
    *
    Le campanile du château de Beauté répétait les
mêmes accents, la même menace. Bois-Bourdon, debout sur la terrasse des
mâchicoulis de l’angle ouest, écoutait la voix démultipliée de la terreur, face
à l’immensité du Val de Marne. Il était tête nue, cheveux au vent, revêtu d’une
simple broigne à mailles d’acier recouverte d’une cotte d’armes en peau de
chamois, resserrée à la taille par un large ceinturon de cuir. Son baudrier reposait
sur ses hanches, son épée de chevalier battait sa cuisse gauche. Le duc
de Berry était à ses côtés en grande houppelande et chaperon.
    En retrait, la mine indéchiffrable, son heaume
sous le bras, se tenait Pascal le Peineux en grande armure sombre.
    — Il n’était pas nécessaire d’alerter la
population. Geoffroy n’est pas prêt à attaquer. Ses hommes ne sont qu’en
maraude, grommela le Camus.
    L’humeur de Jean de Berry était maussade. On
avait signalé plusieurs Têtes-Noires dans les environs immédiats du château. Ses
joues rondes s’étaient comme affaissées en deux poires tirées vers le bas, creusant
de profondes parenthèses d’amertume sur son visage.
    Les Têtes-Noires lui empoisonnaient la vie dans
ses apanages d’Auvergne depuis six ans, et ce poison venait le harceler jusqu’ici.
La grande liberté avec laquelle agissaient de tels brigands en disait long sur
l’impuissance du pouvoir royal à les contrôler. Les troupes régulières étant
peu nombreuses, les souverains en guerre faisaient appel, notamment pour la piétaille,
à des mercenaires mal payés qui vivaient sur les populations. Profitant du
désordre de la guerre, beaucoup d’entre eux abandonnaient le combat légitime
pour s’assembler en bandes de routiers qui se lançaient dans de fructueuses
opérations de pillage. Les trois chefs les plus célèbres du moment étaient
Perrot de Fontaines, dit « le Béarnais », se tenant à Châlucet, Aymerigot
Marchès, établi en la forteresse d’Alleuze, et Geoffroy Tête-Noire.
    Venu on ne sait d’où, Geoffroy Tête-Noire avait la
réputation d’être le plus cruel et le plus sauvage des trois. Il s’était
installé au château fort de Ventadour après en avoir chassé le vieux comte et
ses gens. Il y vivait une vie de véritable seigneur, faisant régner sa loi
terrible sur tout le pays.
    Bois-Bourdon gardait le silence. Il songeait, comme
le Camus, que le prévôt de Nogent s’était trop pressé à sonner le tocsin. Les
paysans et le menu peuple n’avaient rien à craindre de Geoffroy Tête-Noire, malgré
son épouvantable renommée. Grand prédateur de châteaux, il redistribuait
volontiers ses surplus à la misère.
    — Il ne pille et n’investit que là où il a

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