Eclose entre les lys
récompense de sa lâcheté, le roi l’a
nommé capitaine de ma garde. (Elle cria dans les aigus.) Lui ! capitaine
de la garde personnelle de la reine !
La chambellane tentait de délacer le bliaut d’Isabelle,
qui lui échappait, ne pouvant tenir en place.
— Je t’en prie, reste tranquille ! lui
intima Catherine.
La princesse de Bavière arracha elle-même son
vêtement, et se jeta sur un faudesteuil, vautrée. Ozanne entra en silence, se
mit humblement à genoux devant la jeune reine, et entreprit de lui retirer ses
heuses. Ruminant ses ressentiments, Isabelle la laissa faire.
— Il faisait beau temps. J’étais heureuse. C’était
comme en Bavière…
Les mots s’étranglèrent dans un sanglot d’enfant.
— Ne peut-on me laisser en paix, et rire tout
mon soûl ?
Catherine s’affairait à décrocher une robe des
grandes perches.
— Tu es reine de France, tenta-t-elle de lui
rappeler avec énergie.
— Je ne le veux pas.
— Et nous sommes à une heure de sixte. Il
faut t’habiller, le repas sera bientôt corné, ajouta encore fermement la
chambellane.
— Je n’ai pas faim ! Je veux retourner
chez moi, en Bavière.
C’était lancé comme un cri qui avait la force du
désespoir.
— Cela ne se peut, Isabelle, lui répondit
doucement Catherine, la voix enrouée d’une brusque émotion.
Les bras encombrés d’une cotte d’écarlate rosée et
d’une robe de dessus en drap bleu foncé, la jeune Bavaroise revenait vers la
reine qui se mordait les lèvres pour ne pas pleurer. Oui, cela ne se pouvait, Isabelle
le savait. Ils l’avaient tous trahie. Même son père et son oncle… tous savaient.
Elle se laissa habiller comme une poupée par les
mains expertes d’Ozanne et de Catherine qui se taisaient. Depuis les noces, ces
dernières avaient appris à connaître ses humeurs, et à respecter son
inconsolable chagrin.
Encore une fois, tout repassait dans la tête de la
jeune souveraine. Ils savaient tous ! Cette abominable douairière de
Brabant et ses atourneresses ; on la disait malade et retournée en ses
États, c’était bien fait ! Et la duchesse de Bourgogne ! Elle l’entendait
encore, à Bruxelles, lui vanter Charles VI : la grâce avec laquelle
il dansait, la magnificence de son maintien et de ses vêtements, son affabilité,
sa vaillance… À l’écouter, il était sans conteste le plus aimable et le plus
beau roi-chevalier de toute la chrétienté. Elle ne lui parlait que de lui, jamais
de pèlerinage. Et cette suite royale, ce déploiement militaire ostentatoire de
son oncle Frédéric. Tous, ils savaient tous ! Ils paradaient. Ils s’enflaient
d’orgueil parce qu’ils la conduisaient au roi de France. Ils n’avaient mené qu’une
chèvre au bouc.
Elle, qui ne savait rien, qui croyait l’amour
délicat, sensible, enchanteur. Mais ce n’était que bestialité et accouplement. Il
mugissait comme le taureau qui monte une vache. Il déchirait et blessait comme
le poignard. Il était sale. Il faisait honte. Isabelle ressentit ce long
frisson d’horreur et cette profonde répulsion devenus si familiers.
Des larmes silencieuses s’étaient mises à inonder
ses joues. Catherine la prit dans ses bras, spontanément, comme à chaque fois, pleurant
avec elle :
— Isabelle, mon Isabelette ! Ne pleure
pas. L’amour est beau, je te le jure ! Il est doux, il caresse. Il est
tendre et respectueux. Ce n’était que première fois. Le roi est bon et t’aime.
Isabelle se laissa aller aux sanglots :
— Laisse-moi ! Ne me parle pas du roi !
— Je te parle du beau cavalier blond qui te
vénère. Le roi était sous l’emprise des poisons du roi de Navarre.
Ozanne se détourna. À entendre toujours cette même fable,
et toujours les vaines consolations de la chambellane, elle avait le sentiment
qu’elle pouvait en mourir.
2
Terreur en Val de Marne
Infanticide à Falaise.
Un enfançon est mort après avoir été dévoré tout
vivant au visage et à la cuisse.
Les magistrats se sont réunis pour faire son procès. Il
en a été jugé que la truie a été reconnue comme ayant tué l’enfançon en le
mangeant tout vif ; et que cette bougrerie a été commise un vendredi, jour
d’abstinence qui défend de manger de la viande. En conséquence, la truie est
condamnée à mort.
Avec pesanteur, la lourde cloche de bronze du
beffroi de Nogent se mit en branle. Son balancement s’accentua jusqu’à ce que
le marteau vienne cogner la paroi.
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