Eclose entre les lys
à
prendre, enchaîna le Camus, suivant la même pensée que le capitaine. On
dit qu’il possède tant de richesses à Ventadour qu’il pourrait supporter un siège
de sept ans.
Et les richesses que le bandit prenait sur les
terres du duc de Berry étaient autant de moins pour son propre faste.
— La guerre de Flandre et d’Angleterre
éloigne le gros de l’armée royale, répondit Bois-Bourdon, réfléchissant à voix
haute. C’est ce qui l’amène. Et il se tient en la forteresse de Charenton comme
à celle de Ventadour. Elle est inexpugnable. Le château de Beauté, lui, ne l’est
pas. Il sait que la reine s’y tient avec sa Cour.
— Ce larron n’osera jamais !
— Il osera ! Ça l’amuse. Lui aussi aime
l’exploit. Prendre une tête couronnée, c’est s’en mettre une sur la sienne. Imaginez
la rançon qu’il pourrait en obtenir ?
Le Camus en resta soufflé.
— Comment pouvez-vous savoir ?
— Je le sais ! Geoffroy Tête-Noire a
beaucoup recruté. Ils sont plus de cinq cents à la citadelle de Charenton. Pascal
le Peineux est une de ses dernières et plus « fidèles » recrues.
Le duc se retourna vers l’écuyer de Bois-Bourdon
qui restait toujours aussi impassible, il en resta sans voix.
— Le bougre ! souffla-t-il enfin.
— Il faut garder la reine à tout prix et en
dépit d’elle-même. Nous attaquerons Geoffroy de l’intérieur…
— De l’intérieur ?
— Le Peineux est un lieutenant de choix pour
les Têtes-Noires, qui ne voient pas plus loin que la sale gueule de mon écuyer ;
sa force et son courage ont gagné la confiance de Geoffroy. Il nous ouvrira une
brèche, et l’on investira ce repaire de brigands. Nous les anéantirons !
— Avec quoi ? Nous n’avons qu’une
poignée de gardes.
— Toutes les milices des environs vont être
recrutées. Le prévôt de Paris est alerté, j’attends des renforts.
Le duc de Berry se prit tout à coup à admirer
le chevalier de Bois-Bourdon, l’âme damnée du roi.
Le tocsin se tut, puis les cloches se mirent à
battre sixte, paisiblement. Le Val de Marne semblait si dormant que l’air se
vitrait sous le soleil de ce midi de plein été.
*
Dès l’heure de relevée, Louis d’Orléans se fit
mettre en grand harnois et descendit dans la haute cour rallier les gardes du
château de Beauté. Durant le repas, il n’avait été question que de Geoffroy
Tête-Noire, de la menace qu’il représentait, de ses tristes exploits en
Limousin et en Gévaudan. Un ménestrel avait même pincé sa viole en chantant :
Hélas, ce Geoffroy
mauvais homme et cruel,
Met à mort
chevaliers comme serfs et ménestrels…
Et de continuer, énumérant d’une voix douce et
séraphique les pires horreurs, devant une assistance frissonnante d’effroi.
Mais le jeune prince ne s’en était pas laissé
conter. Exalté par l’amour, il avait décidé, en tant que lieutenant général du
royaume, de prendre la situation en main. En sortant de table, il avait donc
ordonné, haut et fort, une sortie et une expédition punitive à basse none. Et
qu’on se le dise !
Il s’imaginait déjà Isabelle le regardant se tenir
mâlement à la tête des gens d’armes, et sa joie lorsqu’il reviendrait
triomphant lui apporter la tête du bandit, cause de sa réclusion. Aujourd’hui, il
nettoierait le pays de cette engeance, demain, ils pourraient à nouveau chasser
ensemble en toute liberté.
Bois-Bourdon l’avait laissé à ses agitations
puériles, négligeant les humeurs belliqueuses du prince comme s’il n’existait
pas. Il savait avoir ses hommes bien en main.
Une fois dans la haute cour, le duc d’Orléans eut
effectivement la désagréable surprise de trouver gardes et soldats qui ne l’attendaient
pas en bon ordre et grande armure, comme il l’avait exigé, et nullement enclins
à faire cette sortie aveugle. Il les harcela furieusement. En vain. On lui fit
valoir, très humblement et avec regret, qu’ils étaient sous le gouvernement du
capitaine de la garde personnelle de la reine, le seigneur de Graville, auquel
devaient se soumettre tous les gens du château.
Force lui fut de constater que ses ordres n’avaient
pas été pris au sérieux. Humilié, il s’en prit à son fou Capucine qui
trottinait partout sur ses talons, soutenant son maître de ses criailleries
bouffonnes, clamant que de ne pas obéir à si noble prince c’était désobéir au
roi. Avec force grimaces et singeries, il
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