Eclose entre les lys
d’Isabelle ?
s’inquiétait le cardinal, ne songeant qu’à l’arracher à cette inclination qui
le rendait lui-même malade de jalousie.
— Nous partirons avec l’ambassade de la reine
de Hongrie-Pologne, s’avança un peu vite le cardinal. Monseigneur d’Orléans et
moi descendrons jusqu’en Avignon où je traiterai votre affaire. Ensuite, nous
nous rendrons en royaume de Hongrie.
Le voyage serait long. Pierre Aycelin aurait pour
lui seul le jeune duc. Restait à convaincre ce dernier.
Tout était dit des préoccupations politiques à l’ordre
du jour. Un silence s’installa, et c’est alors que l’on s’avisa d’un autre
silence, si fort que les têtes se tournèrent ensemble vers messire de Bois-Bourdon,
rencogné dans sa fenêtre.
— Sire de Graville, ne désiriez-vous pas
nous entretenir à ce Conseil ? s’enquit Bureau de la Rivière.
Au même moment, la trompette du guetteur sonna, annonçant
le retour au château d’Isabelle et de son beau-frère. Bois-Bourdon sauta avec énergie
de son banc de pierre où il semblait s’être statufié.
— Si fait ! Il faudra renforcer les
gardes du château et me fournir des hommes d’armes. Geoffroy Tête-Noire est à
la citadelle de Charenton.
Et il sortit rapidement, la mine sombre, laissant
le Conseil restreint la bouche ouverte de stupeur.
Geoffroy Tête-Noire était connu dans tout le
royaume pour ses tristes exploits de pillard avec sa bande de routiers, plus de
quatre cents compagnons à gages, des soldats débandés de la pire espèce. Ce
redoutable dépouilleur de châteaux, comme disait Jean Froissart, « était
très mauvais homme et cruel, car il mettait à mort sans tenir compte de
personne, et se faisait craindre si fort de ses gens que nul ne l’osait
courroucer ».
La duchesse de Bourgogne fut la première à
reprendre ses esprits :
— Geoffroy Tête-Noire ? N’était-il pas
en Auvergne au château de Ventadour ?
Elle s’adressait au duc de Berry ; l’Auvergne
faisait partie de ses apanages.
— Si fait ! répondit le Camus qui
avait perdu sa jovialité, mais il a tant ravagé de Rouergue jusqu’en Bigorre qu’il
vient sans doute en Île-de-France se faire un peu plus de graisse.
Mais c’était bien plutôt pour la sienne, de graisse,
que le placide duc de Berry était inquiet.
*
Dans la salle basse des gardes du logis de la reine,
le sénéchal du Berry, campé sur ses jambes gainées de chausses, un poing sur la
hanche, l’autre serré à se rompre sur le pommeau de la dague qu’il portait au
côté, attendait Louis et la reine.
Il surprit un éclat de joie cristallin en provenance
de la haute cour, et se raidit encore. Depuis la terrifiante nuit de noces, pour
la première fois, Bois-Bourdon entendait le rire d’Isabelle, léger, juvénile. Ce
rire était l’écho de l’insouciance, du bonheur de vivre, et de cette extrême
jeunesse qui triomphe de tout.
Elle entra en courant dans son allure de petit
écuyer, poursuivie par Louis de France : ils avaient encore des jeux d’enfants.
Sans apercevoir le capitaine de sa garde personnelle, la reine se retourna vers
son poursuivant, tout essoufflée.
— Tu as triché, beau-frère, je t’ai vu
retenir ton cheval. Le roncin [15] de laboureur dont
on m’a pourvue ne pouvait lutter contre ton coursier.
— Patience ! Je t’offrirai la plus
véloce haquenée de tout le royaume…
Sa voix mourut en apercevant le seigneur de Graville
derrière Isabelle. Inexplicablement, le jeune Orléans, malgré son rang, se
sentait intimidé par la maturité virile de ce sombre chevalier.
Suivant le regard de Louis, Isabelle pivota, et se
trouva face au seigneur de Bois-Bourdon. Son rire s’éteignit comme flamme
soufflée. Son visage se ferma et s’empourpra, plus cramoisi que son bliaut.
Bourdon ne lui laissa pas le temps de se reprendre :
— À partir de ce jour d’hui, les gardes
seront triplés aux enceintes et aux poternes. Le pont-levis maintenu levé. Nul
ne peut sortir de Beauté sans raison et bonne escorte armée. Nul ne peut y
entrer, nul ne s’expose en dehors sans m’en avoir averti.
La princesse de Bavière redressa sa petite
taille, ses yeux lançaient leurs feux violets.
— Prétendez-vous interdire à la reine de
France les joies de la chasse ?
— Je vous ai en ma sauvegarde !
— Vous m’avez en votre sauvegarde ?…
Elle détailla ces mots, d’une voix haute et claire,
comme pour en raviver le sens,
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