Eclose entre les lys

large.
    Chacun s’inclina, la reine quittait la salle des
cérémonies pour regagner son logis. Elle ne regarda personne, les yeux droits
devant elle, superbe et solitaire. Elle laissait déjà derrière elle le seul
compagnon qu’elle avait eu si peu de temps. Elle avait à nouveau le cœur brisé.
    *
    La cérémonie à peine achevée, Bois-Bourdon demanda
audience au cardinal de Laon, pour une affaire d’importance dont il avait
à l’entretenir sans délai. Pierre Aycelin de Montaigu était encore dans sa
pourpre cardinalice. Il avait laissé le duc d’Orléans aux Hongrois, affairés
aux préparatifs du départ que Louis précipitait pour le lendemain.
    Le sire de Graville, une fois dans la place, confortablement
installé dans un fauteuil, paraissait avoir oublié l’urgence de sa visite et se
mit à discourir complaisamment sur la bataille de Charenton.
    — Cette racaille a été nettoyée. Elle est à
présent charognes pendues aux murailles de leur bastille, en pâture aux
corbeaux, comme il se doit.
    Tout en parlant, il caressait d’une main distraite
une cassette à encoignures d’ivoire posée sur ses jambes croisées. Ce geste
machinal irritait le prélat. Cet homme le mettait décidément très mal à l’aise.
    — Je sais cela. On m’en a déjà rendu compte. Est-ce
tout ce que vous désiriez me dire ?
    Bourdon affecta ne pas remarquer la nervosité de
son interlocuteur et poursuivit :
    — De notre côté, nous n’avons pas eu de perte.
Mon écuyer Pascal le Peineux a mené l’attaque de main de maître. Il est vrai qu’il
sait le prix de la vie des hommes, fût-il simple piéton. Il est des leurs !…
Hélas, Geoffroy Tête-Noire nous a échappé dans la forêt de Vincennes alors que
nous portions secours à la reine et au prince d’Orléans. Aux dernières
nouvelles Geoffroy a été aperçu en faubourgs de Bercy. Il semblerait qu’il
courait vers des cieux plus cléments que ceux de l’Île-de-France avec le peu d’hommes
qui lui restaient… (Il ajouta, comme pour lui-même :) Je me demande si ces
deux Têtes-Noires ont pu le rejoindre ?
    — Quels deux Têtes-Noires ? demanda
Pierre Aycelin, soudain alarmé.
    — Ceux qui ont attaqué en premier, comme deux
loups solitaires… et qu’un garde de la reine a si facilement mis en déroute. Étrange…
(Il resta un instant plongé dans ses réflexions, mettant les nerfs du prélat à
vif.) Oui, étrange que cette lâcheté ! Les Têtes-Noires sont de
redoutables combattants, leur férocité leur tient lieu de courage. Geoffroy est
un chef avisé qui reconnaît les couards… un recrutement trop hâtif sans doute…
    — Venez-en au fait de votre visite, messire, l’interrompit
sèchement Montaigu qui pâlissait dans sa pourpre.
    Le capitaine, affectant la confusion, se saisit du
coffret qu’il avait apporté et le tendit au cardinal de Laon.
    — Mille pardons, Votre Éminence, d’abuser de
votre temps. J’étais venu vous demander votre avis sur ceci.
    Pierre Aycelin prit la cassette et la posa sur ses
genoux. Il jeta un coup d’œil interrogateur au chevalier.
    — Qu’est-ce ?
    — Ouvrez, et dites-moi ce que vous en pensez.
    Le cardinal soupira, et pour en finir au plus vite,
il ouvrit.
    Il poussa alors un cri d’épouvante en se
redressant, lâchant avec répulsion le coffret qui tomba à terre. Une chose
sanguinolente et grimaçante s’en échappa et roula sur le sol. Dans un désordre
de cheveux collés par des croûtes de sang, la chose s’immobilisa, fixant de ses
yeux vitreux le plafond aux moulures polychromes. Des yeux qui gardaient dans
la mort le dernier instant d’une stupeur horrifiée.
    Le cardinal de Laon regardait la tête coupée
avec un regard fou.
    — Beau coup d’épée, n’est-ce pas ? ironisa
calmement le sire de Graville. Geoffroy Tête-Noire a toujours excellé à la
décollation.
    — Que veut dire ceci, Bourdon ? coassa
le cardinal, fasciné par le macabre spectacle.
    — Je voulais vous le demander, monseigneur… Qu’allait
donc faire ce garde de la reine seul en forêt de Vincennes ?… Était-ce
pour le plaisir de se faire couper la tête ?
    — Et que voulez-vous que j’en sache ? s’emporta
le prélat en perdant son sang-froid.
    Le regard de Bois-Bourdon se durcit. Sans quitter
Pierre Aycelin des yeux, il se leva et s’approcha lentement. Pris de panique, le
cardinal se mit à reculer pas à pas, jusqu’au mur où il cabossa son large
chapeau de