Eclose entre les lys
en levant son épée.
L’homme du cardinal de Laon n’eut pas le temps
d’entendre l’arme siffler. Sa tête sauta d’un seul coup. Le corps étêté resta
un instant droit sur le cheval, puis il bascula avec lenteur sur le côté, le
sang jaillissant à grands flots. Son cheval se reculait, effrayé, comme pour
éviter d’en être éclaboussé. Il finit par se cabrer, et prit le mors, traînant
le corps de son maître, le pied pris dans un étrier.
Louis faiblissait sous le nombre, un coup de dague
venait de lui percer le gras du bras. Geoffroy brailla dans leur direction :
— Vivants, marauds ! Je les veux vivants !
Morts, ils ne vaudront plus rien.
— On ferraille, hurla Ozanne, on ferraille, là,
droit devant, derrière ces taillis !
Dans un bond prodigieux par-dessus les ronces, Bois-Bourdon
et ses hommes atterrirent sur le chemin. Sans ralentir l’allure, le sire de Graville
fonça dans un grand cri sur l’assaillant le plus proche du prince, l’épée
brandie devant lui, et le perça de part en part. Entre les hommes de
Bois-Bourdon et ceux de Geoffroy, le combat s’engagea, féroce.
Ozanne, éperdue, faisant tournoyer son cheval, cherchait
la reine, l’appelant à tue-tête.
L’escorte de la duchesse de Bourgogne, qui s’était
guidée au son de la corne, approchait, flambeaux tenus haut pour éclairer loin.
Au bout de la perspective de l’allée qui s’enfonçait sous les voûtes
mystérieuses des arbres, Marguerite distingua soudain des silhouettes qui s’agitaient.
— On se bat là-bas. Sonnez cors, sonnez !
Sonnez plein ! hurla-t-elle en éperonnant son cheval.
Flamboyante, la troupe força le galop, tandis que
les cors explosaient en un concert sauvage. La forêt tout entière s’en
épouvanta, renvoyant et grossissant en multiples échos la puissance formidable
des sonneries.
— Par les foudres de Dieu ! Qu’est-ce
que c’est que ce tintamarre ? se mit à rugir Geoffroy.
Il semblait que toute la forêt chassait à cette
heure.
Les Têtes-Noires comprirent que des renforts
inopinés arrivaient. Sans plus attendre, leur chef rompit le combat et entraîna
les hommes qui lui restaient dans sa fuite. Alors on entendit les cris
stridents d’Isabelle toute proche. Bois-Bourdon, abandonnant l’idée de
poursuivre Geoffroy, sauta de son cheval et se jeta à corps perdu dans les
taillis.
Le cauchemar recommençait. Plaquée au sol, Isabelle
se débattait de toutes ses forces, hurlait aussi fort qu’elle le pouvait, alors
qu’elle suffoquait sous le poids de l’homme en armure, dont les plates du
corselet meurtrissaient sa poitrine. Elle sentait l’haleine avinée de son
agresseur, ses mains dures qui la palpaient sans ménagement avec un rire hideux.
Sa tenue d’écuyère l’aidait à se défendre alors que le harnachement du brigand
le gênait.
— Alors, ma poulette, tu veux tâter du coq ?
ricanait-il.
Comme elle commençait à faiblir, il lui sembla que
le ciel tout entier sonnait de l’olifant et s’allumait en une myriade de
lucioles, jouant comme feux follets dans les ramures.
Et soudain le poids de l’homme se fit plus lourd, son
rire se termina en râle.
Horrifiée, elle put voir, aux mystérieuses lueurs
dansantes, son visage qui grimaçait de façon atroce. Ses yeux luisaient d’étrange
façon, exorbités. Sa bouche s’ouvrit, la langue en jaillit, énorme. L’affreux
râle continuait, il bavait, ses pieds raclaient furieusement la terre. Une
violente secousse lui souleva soudain tout le buste, renvoyant brutalement sa
tête en arrière. Il y eut l’insupportable craquement sec de la vertèbre qui
rompt. Un dernier gargouillis, puis il fut rejeté de côté, mou comme un pantin
de chiffon, la libérant. Alors elle vit Bois-Bourdon, son regard était terrible.
Il tomba à genoux près d’elle.
— Ma reine ! murmura-t-il dans un
souffle.
Elle se jeta contre lui et elle retrouva la chaude
étreinte, la force et la douceur, l’abri de ses bras, cette chaleur qui l’embrasait
tout entière, comme en cette autre nuit d’horreur.
— Ne me lâchez pas, pas cette fois ! sanglota-t-elle.
— Ma reine ! souffla-t-il encore, l’enveloppant
de sa protection, la berçant.
Enfin, il lui prit la bouche sans retenue, faisant
taire ses sanglots de terreur. Elle referma ses bras sur son cou, s’accrochant
éperdument à sa puissance, buvant à ses lèvres le bonheur de son immense
soulagement.
15
D’honneur perdu
La
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