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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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d’une caserne ou d’un ministère, une tente inoccupée sur la plage, un parasol sans personne dessous, sont une présence, la trace ou l’annonce d’une présence. Jamais, dans une peinture, un paysage ne peut exclure la présence humaine : le peintre est là, hors champ, caché, invisible ; et nous-mêmes.
    Je ne lui sens pas un grand amour des arbres. Mais un amour des herbes, d’une prairie, d’une étendue d’herbe, dans laquelle un chien a le sentiment d’être où il doit être, libre, à bonne hauteur du vent et des bonnes odeurs, le ventre frôlant les tiges vivaces. Sauvage, au fond, chasseur, toujours, même s’il a son
coussin et sa place au bord du feu, près du poêle, dans la maison.
    Hopper n’est pas le peintre des jardins et des pelouses, des clôtures entre voisins et le long de la route, des tondeuses à gazon. L’herbe dans sa peinture est jaune ou drue, mais bien enracinée, conquérante. Elle s’accroche à vos chaussures, vos pieds. Pas de galets ni de gravier dans les allées qui mènent à la porte. Pas de ces grosses boîtes aux lettres pour le courrier et la liasse vaine des journaux. Ces maisons à façade de bois sont des barques, et l’herbe autour et devant elles frissonne sous le vent, de même que la mer contre la côte, le récif, clapote, s’agite.
    Comme l’Amérique, la vieille Amérique, est jeune, toujours ! à voir ces maisons aux couleurs fraîches, blanches le plus souvent, souvent repeintes, ces murs de bois, comme au temps des pionniers, formés non de poutres et de troncs, comme jadis, mais de planches, de lattes, sages comme les lignes d’un cahier. Quand sa sœur Marion veut remettre à neuf leur maison natale, Edward lui écrit que seuls le blanc et le vert lui plaisent quand il s’agit de peindre le dehors d’une maison. Le vert est une concession. Il préfère le blanc, qui lui suffit. Sans doute parce qu’il accueille mieux la lumière.
    Il y a quelque chose d’enfantin dans ces maisons proprettes au long des routes américaines, et qui se ressemblent, comme sorties de mêmes boîtes de jouets. L’hiver, des sapins de Noël ajoutent un clinquant d’étoile et de vert à cette imagerie d’enfance.
    Les arbres de Hopper ne m’apparaissent pas comme de vrais arbres. Ce sont des plaques de verdure telles qu’un décorateur en propose pour la toile de fond d’un théâtre. Ils vivent, pourtant. Souvent, on
les ressent comme une menace. Ils seraient, pour un peu, cette forêt qui marche vers Macbeth. Ils campent, ils prennent patience, avant l’assaut. Ils réoccuperont le territoire. Les cimetières redeviendront leur royaume et se mêleront à leurs ombres, leur ombre. Shakespeare et sa forêt belliqueuse, onirique, invincible, fatale, funeste, vient ici à l’esprit, peut-être à cause de l’aspect « décor de théâtre » des arbres de Hopper. Mais il se trouve qu’il a peint une toile qui, au premier plan, à Central Park, représente une statue de Shakespeare : Shakespeare at Dusk (« Shakespeare au crépuscule »). Pourquoi cette carte postale, inattendue? A-t-il voulu dire que la « scène américaine  » est devenue bien étrangère à la scène anglaise de jadis et que l’écart est grand entre les deux langues, l’anglais, l’américain ? Oppose-t-il symboliquement la culture et la nature – une nature domestiquée, cultivée, urbaine ? Au sommet d’un immeuble, dans le lointain, une enseigne lumineuse affiche les initiales US ; autant dire, elliptique, le signe du Dollar : In God we trUSt . Ce n’est pas seulement la nature, domestiquée, et la culture, qui s’affrontent ; la culture s’oppose à elle-même : les choses de l’esprit, les choses de la Bourse, le commerce des esprits, le commerce ; de même que s’affrontèrent en Hopper la besogne de l’illustrateur, à l’occasion publicitaire, et la passion de peindre, la volonté d’être peintre. Au loin, dans le parc, une statue. Quel compagnon, quel vis-à-vis donneriez-vous à Shakespeare ? Christophe Colomb, peut-être, Lincoln. Une autre peinture montre, dans un parc où les promeneurs sont des ombres, à l’entrée d’un parc, sur un socle comme sur un trône, un homme de bronze, nu, qui pourrait être un souvenir du Penseur.

    Si les maisons chez Hopper peuvent apparaître comme des portraits – ou des masques – de ceux qui y vivent, il en est une, peinte en 1944, qui, bien qu’il se défendît de mettre de la « psychologie »,

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