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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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son épaisseur, son flux, prend part à cet affrontement et cette vigueur des éléments, et les imite, par le jeu de la main et de la brosse, du pinceau. Ce n’est pas encore pour Hopper le temps d’une peinture lisse ; on irait jusqu’à dire : de l’effacement. Entre la matière et la lumière, il choisira la lumière, immatérielle.
    Rarement, chez lui, le paysage est nu. Lorsqu’il n’est qu’herbes et pentes, terre bordée par le ciel, on peut songer à quelques paysages de Degas, à Courbet que Hopper place plus haut que Cézanne. Mais il n’est pas un paysagiste, un pur paysagiste ; même si certaines toiles, à ses débuts, ont une force qu’on aimerait dire tellurique, une espèce de sauvagerie, d’énergie rare chez les paysagistes. Il lui faut bientôt placer, parmi les vallonnements, les croupes fauves de l’automne, au milieu de la solitude, du désert, et, tels que des arbres nus, morts, quelques poteaux télégraphiques; l’inflexion de leurs fils, de leurs câbles, entre les poteaux, jalonnant et creusant l’étendue. Il n’en représente pas le noir et la courbe ; nous les imaginons; absence qui peut-être s’explique par la Crise, de même que le délabrement et l’abandon de fermes dans la campagne, où les champs ne sont plus qu’herbe. Il lui faut bientôt peindre une maison, des maisons, un nid de quelques habitations, le quartier d’une petite ville, un paysage urbain ; surtout un paysage urbain : ce qu’on voit d’une fenêtre de New York ; une étendue de toits, sous le ciel, avec son
cortège et ses groupes de cheminées, un peu étranges, cocasses ; des cheminées à coiffe de tôle et des cheminées de briques rouges, comme des crêtes ; des toits comme ceux qui donnent lieu à des poursuites et des vertiges, des audaces, dans les films.
    Ce dessus de la ville est un autre monde. Il n’a affaire qu’au ciel, aux nuages, aux pluies, à la lumière, au regard de quelques-uns qui sont comme des naufragés, des voyageurs en ballon, et habitent à l’écart de tous ; les moins riches, les plus pauvres ; peut-être davantage portés à rêver, gratifiés par l’horizon. Cet assemblage de tôles et de toits hérissés de cheminées est un désert, une mer. Les bruits et les détails de la ville sont des souvenirs à demi oubliés. La hauteur est une solitude, et cette solitude un archipel. En bas, pour les chiens : les trottoirs ; toits et gouttières sont pour les chats, et ce qui dans notre esprit est de la nature du chat. Mais l’artifice des toitures et des cheminées rejoint une espèce de naturel. L’élégance n’est pas nécessaire. Tout au contraire des façades et des vitrines.
    Devant cette flottille de périscopes, cette immobile armée de sentinelles, ce campement disséminé dans un désert métallique gris-bleu, ces mortiers inoffensifs, ces casques, ces morions, devant cette carapace, cette ligne de crêtes, qui se prendrait à penser que le système des cheminées, aérien, céleste, a pour analogue, mais inverse, celui des égouts ; infernal, anal ? Qui songe à la cheminée de marbre des appartements, avec sa pendule, son tigre de bronze ou son archer, au foyer, au bon feu des familles et du solitaire, à l’âtre, aux chenets et à la grille, au feu dont les étincelles et les flammes, le craquement et le sifflement des bûches, les yeux mi-clos de la braise, ses ouïes, parfois le
grondement et le souffle brusque du vent dans la haute caverne, sa sauvagerie, émerveillent l’enfant ? Qui pense aux couvreurs, ces alpinistes, ces héros, ignorant le vertige, aux feux de cheminée et aux incendies, aux pompiers ? Le vent emporte la fumée et la suie, les efface, les dissipe, les mélange aux nuages, au gris du ciel. Les cheminées de Hopper ne fument pas 1 .
    Il n’a aucun goût pour les gratte-ciel, l’architecture moderne.
    Parfois, on dirait qu’il se veut le portraitiste d’une maison : ainsi, Ryder’s House , en 1933, ou Cape Cod Sunset , en 1934 (« Coucher de soleil sur Cape Cod »). Ou, cette même année, House on Pamet River , une aquarelle ; seul signe de présence humaine : une machine agricole ; certains volets de la ferme commencent à pourrir.
    Il est vrai qu’une maison est analogue à un visage.
    Et que l’habitation est un autre vêtement, un habit, souvent à la ressemblance de celui qui l’habite. Une maison habite le paysage comme nous habitons notre maison. Même une guérite vide, à la porte

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