Emile Zola
d'ours noir, au bord du bassin, dans la vaste allée circulaire aux ombrages monstrueux des tropiques,-tout ce chaos de sensations, de nerfs, de mouvements, de contacts et de violences physiques, tout ce pêle-mêle de la passion fouettée par le rut, tout ce tumulte d'imaginations maladives est peint, buriné plutôt, avec une furia inouïe.
Ce tableau d'apparence érotique, mais dont l'impression est sévère et triste comme celle qu'on emporte d'une opération chirurgicale, à la précision d'une eau-forte de Rops.
Les peintures crues abondent dans l'oeuvre de Zola, mais les voluptueuses et les raffinées y sont assez rares. Quand il rencontre ces tableaux érotiques à peindre, il n'hésite pas. Il ne fuit ni n'oblige à se rhabiller ses modèles. Il se rapproche et de tout près, froidement, les observe pour les décrire, avec l'impartiale exactitude du physiologiste, traitant de quelque virus surpris dans les organes du plaisir. Il détaille les phases, minutieusement, de la maladie qu'il a observée. Il y a en lui, alors, comme une de ces curiosités si étendues, si prolixes, des ecclésiastiques casuistes, s'efforçant dans leurs manuels de n'oublier aucune variété, aucune manifestation de la passion, dont ils ont entrepris d'éclairer les plus sombres arcanes, sans en avoir, par eux-mêmes, exploré les seuils. C'est ainsi que cette phrase étonnante se trouve sous la plume d'Émile Zola, qui l'a certainement écrite simplement et chastement, constatation d'une particularité voluptueuse devinée : «C'était surtout dans la serre que Renée était l'homme».
En présence de cette bonne foi évidente de l'artiste, tout au plus peut-on lui reprocher de se laisser aller à un peu trop d'admiration complaisante pour sa vicieuse Renée. Il l'a faite bien séduisante, cette femme de plaisir, et il la déshabille hardiment dans la scène des tableaux vivants, non sans goûter la jouissance âcre de l'imprudent et trop peu égoïste Candaule découvrant les belles formes de sa reine endormie.
Les procédés de composition de la Curée apparaissent plus simples et plus complets à la fois que ceux de la Fortune des Rougon. Ainsi le livre a pour bordure deux tableaux jumeaux, qui se répondent symétriquement et se renvoient la même pensée et la même impression.
Tels deux miroirs conjugués.
Le tableau d'ouverture, c'est le retour du bois de Boulogne par un soir d'octobre. Le mouvement des voitures, le scintillement des harnais, les armoiries peintes sur les panneaux, les livrées, les laquais raides, graves et patients, les chevaux soufflant, et le lac, au loin, endormi, sans écume, comme taillé sur les bords par la bêche des jardiniers, ce paysage si parisien est rendu avec la couleur et l'intensité de perception que nous avons déjà si souvent signalées et louées chez l'auteur des Rougon-Macquart. Le tableau d'épilogue, c'est le même bois de Boulogne, mais revu en pleine clarté, par une chaude après-midi de juin. C'est le même défilé de voitures, de laquais, figés dans leur gravité patiente, avec les mêmes scintillements de harnais, de ferrures, de chanfreins d'acier ; mais tout cela baigné par une lumière large, éblouissante, tombant d'aplomb. Le lac n'est plus le miroir mat de l'après-midi d'octobre, c'est une grande surface d'argent poli reflétant la face éclatante de l'astre. Puis, au fond, comme dans une gloire, enfoncé au milieu des coussins d'un grand landau, passe, au trot de ses quatre chevaux, précédé de piqueurs à calottes vertes sautant avec leurs glands d'or, l'Empereur, mettant ainsi le dernier rayon nécessaire, et donnant un sens à ce défilé triomphal de l'empire à son zénith.
* * * * *
Le Ventre de Paris est une gigantesque nature-morte. On peut supposer que Zola, obligé, par sa collaboration au Bien Public, dont les bureaux étaient situés rue Coq-Héron, à l'angle de la rue Coquillère, à deux pas des Halles centrales, de passer fréquemment dans le voisinage de l'énorme garde-manger parisien, a dû être tenté de rendre la vie, l'animation, la couleur, jusqu'à l'émanation de cette prodigieuse Bourse de la boustifaille. Ce qu'il a fait plus tard pour la Halle aux valeurs, le marché de l'argent de la rue Vivienne.
Cette rencontre, cette hantise quotidienne ont dû certainement favoriser l'exécution de son livre sur les Halles.
Mais il y eut un autre élément, dans son inspiration, et un stimulant
Weitere Kostenlose Bücher