Emile Zola
les uns sur les autres. Il prit note de cet effet qui se trouve décrit quelque part dans son livre. Et c'est ainsi qu'il se familiarisait avec la physionomie pittoresque des Halles. Un crayon à la main, il venait les visiter par tous les temps, par la pluie, le soleil, le brouillard, la neige, et à toutes les heures, le matin, l'après-midi, le soir, afin de noter ses différents aspects. Puis, une fois, il y passa la nuit entière pour assister au grand arrivage de la nourriture de Paris, au grouillement de toute cette population étrange. Il s'aboucha même avec un gardien-chef, qui le fit descendre dans les caves, et qui le promena sur les toitures élancées des pavillons...
Il entassa ensuite tous les documents écrits qu'il put se procurer ; les livres sur les Halles étaient rares ; un volume de l'ouvrage de Maxime Du Camp, Paris, sa vie, ses organes, était à peu près tout ce qu'il trouvait comme sources. Il dut se renseigner à la préfecture de police, et se procurer des états, des statistiques, des règlements d'administration. Le Ventre de Paris devint un véritable traité d'organisation, de fonctionnement et d'administration des Halles.
Le livre est intéressant, avec son symbolisme en action des Gras et des Maigres, et le drame intime du suspect Florent et des Quenu-Gradelle, repus, satisfaits. Il s'y rencontre des passages d'une lecture plutôt écoeurante, comme la confection du boudin, et la fameuse symphonie des fromages «où les marolles donnaient la note forte». La force de l'expression et l'intensité de la description sont poussées si loin que l'on admire ce tour de force littéraire, en comprimant des nausées.
C'est un véritable poème gastrique que ce roman curieux. Inspiré sans doute par le spectacle des Halles et le désir de faire un livre, dont le palais de la nourriture fournirait le milieu et les personnages, Zola a aussi, probablement, obéi à une secrète pensée de rivalité. Il a voulu se mesurer avec Victor Hugo. C'est Notre-Dame-de-Paris qui semble avoir servi de modèle au Ventre de Paris. L'antithèse de l'Église et des Halles. Le poème de la matière répondant à celui de la spiritualité. La cathédrale personnifiant le monde mort du mysticisme et de la foi, le vaste marché incarnant les appétits et les besoins de notre société matérialiste. Les merveilles de la description et la vigueur du coloris étant également prodigués, pour le charme du lecteur, par le peintre des vitraux gothiques et par l'aqua-fortiste des arceaux de fonte, par le poète des fromages nauséabonds et des mous de veau rouges pendus aux crocs des boucheries, comme par le chantre des processions passant sous les voûtes hautes, dans des volées d'encens, au pied des tours dentelées et sonores, d'où Dieu semble parler à la terre. Notre-Dame et les Halles, c'est la lutte, dans la lice éternelle de l'art, de l'Âme et du Corps, de l'Esprit et de la Matière, de l'Idéal et du Réel, de l'Estomac qui mange et du Cerveau qui pense, du Passé, cela, tué, comme l'avait prévu Hugo, par ceci, le Présent.
Le Ventre de Paris, malgré son titre et son sujet, est un des livres de Zola où il y a le plus de poésie. Cette nature-morte superbe est traitée avec fougue, avec lyrisme, avec vie, par un pinceau romantique. C'est du Delacroix écrit.
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La Conquête de Plassans suivit le Ventre de Paris. C'est un drame intime ; l'histoire d'un fou, la progression effrayante de la fêlure cérébrale, avec des scènes de vie provinciale et cléricale. C'est la captation d'une fortune, la démolition lente d'une maison, le détraquement d'une intelligence, accompagnant la dispersion du bonheur domestique, sous les yeux et par l'effort d'un prêtre ambitieux et tenace, qui semble sorti du séminaire de l'abbé Tigrane.
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La Faute de l'abbé Mouret est un livre étrange et touffu, où la botanique se mêle à la liturgie. On voit un prêtre, Serge Mouret, s'éprendre d'une petite sauvagesse, Albine, sous les arbres d'un paradis moderne et fantastique, le Paradou. Il y a tout un poème adamique dans ce livre prestigieux, qui semble par moments inspiré par un jardinier, en d'autres, par Milton. C'est une propriété de la campagne d'Aix, visitée dans sa jeunesse, que Zola a décrite sous le nom patoisé de Paradou.
Toutes les parties techniques de ce livre sont très soignées, très vérifiées. Zola, pour les
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