Emile Zola
Louis Ulbach, oublieux de la publication, dans sa Cloche, de la Curée, et dont Zola avait été le rédacteur parlementaire, la littérature de l'auteur de l'Assommoir était «putride».
M. Maxime Gaucher, dans la Revue politique et littéraire, se contentait de raconter et d'interpréter une anecdote enfantine, qu'il attribuait, d'après Paul Alexis, à l'auteur de l'Assommoir.
Émile Zola, disait-il, avait, dans son enfance, de la difficulté à articuler certaines consonnes. Ainsi, par exemple, au lieu de Saucisson, il disait Tautisson. Un jour, pourtant, vers quatre ans et demi, dans un moment de colère, il proféra un superbe : Cochon !
Le père fut si ravi qu'il donna cent sous à Émile. Cela n'est-il pas curieux, en effet, que le premier mot qu'il prononça nettement soit un mot réaliste, un gros mot, un mot gras, et que ce mot lui rapporte immédiatement ? Évidemment, cette pièce de cinq francs gagnée d'un seul mot, M. Zola se l'est, un beau jour, rappelée, au temps où les choses décentes qu'il écrivait ne faisaient pas venir un centime à sa caisse.
Une révélation, ce souvenir se réveillant brusquement ! Et alors il se sera écrié : Eh ! bien ! au fait, et les mots à cent sous ! Alors, de même qu'en son jeune âge, ils lui ont porté bonheur...
C'est cette misérable et dérisoire critique, c'est ce tohu-bohu d'outrages et de blagues, c'est ce tintamarre haineux se propageant dans la presse, à tous les étages des feuilles plus ou moins vertueuses, c'est l'indignation des salons faisant chorus avec l'hostilité des faubourgs, c'est tout cet orchestre d'ignominie qui s'est trouvé attaquer, sans le vouloir, la marche du couronnement de Zola. Le mépris montant de la foule, le ridicule s'élevant des couplets de revues, cette clameur, comme au temps du normand Harold, poursuivant cet homme, tout à coup, et à l'insu des bouches hurlantes, se transformèrent en formidable Hosannah. Quelques semaines après ce déchaînement universel, par la force des choses, et de par la domination du talent, l'acclamation montait, grandissait, couvrait tout, et l'auteur de l'Assommoir, Zola-la-Honte, Zola-le-Pornographe, Zola-le-Cochon, était devenu Zola-la-Gloire !
* * * * *
Après une oeuvre violente comme l'Assommoir, Zola voulut une détente. Sa cervelle était en feu, il lui convenait de la rafraîchir. Il avait besoin d'air pur, de liquides doux, pour apaiser la fièvre prise au contact des cabarets et des bouges. Le public aussi, à ce roman âcre et pimenté, verrait avec satisfaction succéder une oeuvre intime et discrète, avec de larges descriptions coupant de reposantes scènes d'intérieur. Alors il écrivit Une Page d'Amour.
Ce roman parut d'abord dans le Bien Public, à la place même où avait été publié, puis interrompu l'Assommoir. Le premier feuilleton fut inséré dans le n° du 11 décembre 1877 ; c'est à l'occasion de l'apparition d'Une Page d'Amour que Zola donna, dans le même journal, son fameux arbre généalogique des Rougon-Macquart.
Une Page d'Amour, c'est l'histoire de deux êtres, un homme et une femme, que la maladie d'un enfant réunit. Ils s'aiment. Longtemps, ils hésitent à reconnaître eux-mêmes cet amour. Enfin, l'aveu éclate. La maladie de l'enfant, qui avait réuni les amants, les isole, et sa mort les sépare à jamais. L'homme retourne à sa compagne légale, au foyer conjugal, aux affaires et à la banalité écoeurante de la vie de tous les jours, la femme se jette, comme en un port, en les bras d'un ancien notaire, amoureux en cheveux gris, qui se trouve être un honnête homme. Les deux couples peuvent encore être heureux. L'enfant pourrit sous la terre grasse du cimetière.
Tel est le squelette du drame. Rien de plus simple.
Le principal personnage d'Une Page d'Amour, «l'héroïne», c'est l'Enfant.
Elle s'appelle Jeanne. Elle a onze ans et demi. Victime fatale de la loi de l'hérédité, elle roule dans ses veines des globules malsains, et porte dans la matière nerveuse de son cerveau des ferments maladifs, semblables à ceux qui conduisirent son aïeule, Adélaïde Fouque, de qui elle procède, à la maison de fous des Tulettes, et qui la jetteront, la pauvrette, à douze ans, dans une bière, guère plus grande qu'un berceau.
L'enfant n'a que sa mère au monde. Elle l'aime fiévreusement, de toutes les forces irritables de son petit être exsangue, de toutes les ardeurs
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