Emile Zola
nouvelle... il y a là quelque chose de sublime à trouver. Quoi, je l'ignore encore. Je sens confusément qu'une grande figure s'agite dans l'ombre, mais je ne puis saisir ses traits. N'importe, je ne désespère pas de voir la lumière, un jour ; c'est alors que cette forme d'un nouveau poème épique, que j'entrevois vaguement, pourra me servir...
Le Paradou, dans la Faute de l'abbé Mouret, était, dès cette époque, en germination dans la pensée du poète épique, qui devait se rapprocher de Milton, en s'éloignant de Balzac.
Ses conceptions, alors, aboutissaient toutes à la forme poétique. Parmi ses lectures, il faut mentionner les oeuvres froides et imprécises d'un poète, qui ne fut jamais glorieux, et qui est descendu aujourd'hui dans de profondes oubliettes littéraires : Victor de Laprade. Ni romantique, ni classique, déiste et même panthéiste à ses heures, Victor de Laprade avait voulu, lui aussi, célébrer la nature, la création, les arbres, les sommets. Il faisait pressentir quelques-uns des parnassiens, mais sans l'éclat de la langue et la vigueur du coloris. C'était un peintre en grisailles. Barbey d'Aurevilly le comparait, pour l'ennui qu'il dégageait, à Autran, également poète moral, mais moins préoccupé de hanter les cimes :
«Avec M. de Laprade, disait-il, l'ennui tombe de plus haut.» Zola prisait cet olympien, surtout pour ses tendances vers de vastes généralisations, pour sa recherche des hautes conceptions. «Il est peu d'auteurs qui m'aient troublé autant que M. Victor de Laprade», disait-il. Il ne conserva pas longtemps ce trouble, et, tout en estimant que l'école romantique, avec ses sanglots, ses rugissements, ses passions désordonnées, ses outrances, était morte, et qu'il fallait absolument réagir contre elle, il reprit son calme habituel ; «tenté un moment d'accepter la poésie de Victor de Laprade, dit-il, je l'ai ensuite repoussée.»
Ce qu'il faut retenir de l'influence éphémère de l'auteur des Poèmes évangéliques, successeur d'Alfred de Musset à l'Académie Française, sur le poète raté de Paolo, c'est l'éloignement, plus apparent que réel, de Zola pour cette école romantique qu'il déclarait défunte. Il devait, pourtant, bientôt la ressusciter, tout en l'accablant d'épithètes sévères et de dédaigneuses négations. Il n'a jamais laissé passer une occasion de dénoncer la rhétorique des romantiques, de railler leurs conceptions extraordinaires et leur grandiloquente fantaisie, tout en procédant absolument comme eux, en usant même de leur dictionnaire. Sans doute, il ne reproduirait pas leurs invraisemblables fictions, il ne consentirait pas à revêtir ses personnages, pris dans le peuple et parmi les classes moyennes, de l'armure rouillée et de la livrée effiloquée des Hernani, des Esméralda, et des Ruy Blas, mais il donnerait, aux créations de sa pensée, les mêmes passions outrancières ; il leur prêterait, dans un décor différent, des truculences et des exagérations à peu près identiques, en s'appuyant, il est vrai, sur des documents soigneusement collectionnés, en dépouillant des dossiers, en consultant des notes et des procès-verbaux.
Il resterait d'ailleurs ainsi dans la réalité : la Gazette des Tribunaux n'est-elle pas le dernier recueil romantique ? Son indignation contre le romantisme, après une lecture de Laprade, est curieuse à noter :
Il faut réagir contre ces êtres passionnés, qui sont ridicules quand ils ne sont pas sublimes. Oui, il faut laisser là les Muses de l'égout, les effets violents, les couleurs criardes, les héros dont la singularité physiologique fait toute l'originalité...
On semblerait entendre, vingt ans plus tard, un critique, et non des moindres, Paul de Saint-Victor, romantique attardé, s'indignant contre «la Muse de l'égout» qui, pour lui, était celle de Zola :
Cette semaine, par corvée de métier, j'ai ouvert, pour la première fois, le soupirail qui mène à l'Assommoir. Voici le trou, voici l'échelle, descendez ! Je suis descendu. J'ai parcouru, à travers un ennui noir et une répugnance écoeurante, cet égout collecteur des moeurs et de la langue, enjambant à chaque pas des ruisseaux fangeux, des tas de linges sales humés avec ivresse par leurs ignobles brasseurs...
Zola, à l'époque où il fulminait son anathème, aussi excessif, aussi déraisonnable que celui de Paul de Saint-Victor, pourtant fin critique littéraire et
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