Emile Zola
ignoré, Strada, a tenté une semblable épopée. Son effort a passé inaperçu. Les palingénésies, les visions apocalyptiques, et les paroles de la Bouche d'ombre avec l'animation des pierres transformées en geôles d'âmes de scélérats couronnés (ce caillou a vu Suze en décombres...) sont les morceaux les plus dédaignés de l'oeuvre épique de Victor Hugo. Zola ne se dissimulait pas la difficulté, l'impossibilité même de l'entreprise. Il ajoutait, en énumérant les parties projetées de son poème, «qu'il reculait devant la tâche formidable de rimer ses pauvres vers, sur cette grandiose pensée».
Mais le désir de faire grand, d'entasser des blocs géants pour la construction d'un édifice colossal, le hantait et l'animait. Il portait en lui le goût de l'oeuvre touffue, synthétique, qu'il devait, par la suite, exécuter en prose. Les Rougon-Macquart ne sont pas nés, seulement, comme on pourrait le croire, du désir de rivaliser avec Balzac. Sauf le transport des mêmes noms dans des romans différents, imitation un peu puérile, et qui est loin d'avoir l'importance qu'a cru devoir lui attribuer l'auteur, l'oeuvre de Zola n'a guère de rapports avec la Comédie Humaine. Balzac a combiné des caractères, et les types qu'il a magistralement dessinés sont des individualités. Beaucoup sont des créatures de l'imagination, de la fiction, plutôt que des contemporains observés. Les grandes dames et les grands coquins de la Comédie Humaine sont des produits du cerveau fécond de l'auteur, des inventions de génie.
Où donc Balzac, traqué par ses créanciers, terré dans des logis mystérieux, attaché, par le besoin, par la dette, au papier à noircir, comme le serf à la glèbe à labourer, aurait-il pu regarder, noter, portraicturer des contemporains qu'il ne voyait jamais ?... On a pu croire qu'il avait deviné certaines existences, qui se sont rencontrées et montrées après coup dans la réalité. Il a été un voyant, un prophète, un phénoménal sorcier doué de la double vue, le génial romancier, et nullement un observateur, un enregistreur de faits précis et un colligeur de documents comme Zola. Est-ce que, par exemple, ses aventuriers, tels que Rastignac, de Marsay, ou Maxime de Trailles, ne se sont pas reproduits, presque identiques, dans les hommes du second Empire, inexistants à l'époque où l'auteur les annonçait et les faisait vivre d'une vie supposée ?
Presque tous les personnages de Balzac ont vieilli et datent, parce que, presque tous, dans la moitié de ses ouvrages,-il est des exceptions comme le baron Hulot, le père Goriot, ce roi Lear de l'épicerie, le père Grandet, cet Harpagon saumurois,-sont des combinaisons de l'esprit. Othello, Cordélia, Juliette, Hamlet, Falstaff ne seront jamais démodés. Les personnages de Zola, ceci sans rabaisser le puissant metteur en scène de la Comédie Humaine, sont en général plus abstraits, plus universels, en un mot plus humains, moins romanesques et aussi moins contemporains. Ils échappent au millésime de l'année, où ils furent indiqués comme vivants. Coupeau, Nana, le docteur Pascal, Aristide Saccard, sont de tous les temps. Ce sont des premiers rôles fixes du drame variable de l'humanité.
Voilà l'influence dominatrice de Shakespeare, poète beaucoup plus méridional, que saxon, italien même, sur Zola. Cette genèse du talent de l'oeuvre de l'auteur des Rougon-Macquart n'a été encore indiquée que par lui-même.
Opiniâtre dans sa force, confiant dans son avenir, et cette vigueur d'âme contraste avec la faiblesse de ses productions, à cette époque, le novice rimeur ambitionnait, dès la vingtième année, une place à part dans la littérature de son temps. Il souhaitait, en secret, devenir chef d'école.
Il se proposait de dominer un cénacle, puis de rayonner sur son siècle, soleil d'un zodiaque de littérateurs. Il déclarait superbement qu'il ne voulait marcher sur les traces de personne.
Je désirerais, disait-il, trouver quelque sentier inexploré, sortir de la foule des écrivassiers de notre temps. Le poème épique, j'entends un poème épique à moi, et non une sotte imitation des anciens, me paraît une voie assez peu commune.
Il est une chose évidente, chaque société a sa poésie particulière. Or, comme notre société n'est pas celle de 1830, comme notre société n'a pas sa poésie, l'homme qui la trouverait serait justement célèbre... Le tout est de trouver la forme
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