Emile Zola
comme à tout le monde, et dont quelques-unes sont devenues légendaires.
Il les énumérait malicieusement :
Est-ce à M. Zola à me reprocher l'anachronisme d'avoir parlé de Florent revenant de la Nouvelle-Calédonie, en 1858, alors que ce furent les condamnés de la Commune, et non ceux de Décembre 51, qui furent envoyés à Nouméa,-et il ajoute assez rudement : lui, qui nous a décrit un soldat rentrant, en 1815, coiffé du képi d'ordonnance, ne se souvenant plus que le képi est contemporain de l'expédition d'Afrique ; lui, qui nous montre une jeune fille se promettant, en 1810, «de ne jamais épouser quelque maigre bachelier, qui l'écraserait de sa supériorité de collégien et la traînerait, toute sa vie, à la recherche de vanités creuses». Des bacheliers en 1810 ? Vous n'y songez pas, mon cher confrère ! A cette même date, 1810, vous faites tuer l'amant d'Adélaïde par un douanier, «juste au moment où il entrait en France toute une cargaison de montres de Genève», et Genève, en ce temps-là, faisait partie du territoire français, c'était le chef-lieu du Léman. N'est-ce pas vous encore qui avez fait, en 1853, apercevoir à Hélène, du haut du Trocadéro, la masse énorme de l'Opéra de Garnier, qui n'était pas encore sorti de terre ? N'est-ce pas vous qui avez entendu chanter le rossignol en septembre ?...
Le malicieux et pionnesque Sarcey reproche encore à Zola la phrase suivante :
Ils se mirent tous les trois à pêcher. Estelle y apportait une passion de femme. Ce fut elle qui prit les premières crevettes, trois petites crevettes roses.
Le citateur caustique fait suivre l'extrait fâcheux de cette mercuriale, évoquant la bévue classique de Jules Janin :
Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que les crevettes ne sont roses que dans les mers où le homard revêt la pourpre du cardinal. Mais vous aviez mis «roses» sans y attacher d'autre importance, peut-être parce que le rose est une couleur gaie, parce qu'elle vous plaît davantage, comme vous avez, autre part, attribué aux prunes une «délicate odeur de musc», parce que le musc vous rappelle des sensations agréables, et que ce sont là des détails qui n'ont point de conséquence. Ce qui est essentiel à la peinture du caractère d'Estelle, c'est qu'elle cherche des crevettes avec une passion de femme, et qu'elle mange des prunes avec concupiscence. Maintenant, que ces crevettes soient grises ou roses, que ces prunes sentent le musc ou tout bonnement la prune, voilà qui est indifférent. Je m'embrouille sur les sexes (Sarcey avait, dans son compte rendu du Ventre de Paris, qualifié de petite fille le jeune personnage qui réconcilie, au 6e tableau, sa mère avec sa grand'mère, et qui était un garçon dans la pièce, bien que joué par une fillette, la petite Desmets), vous vous trompez sur les couleurs et les odeurs, nous sommes à deux de jeu. Mais pourquoi ce qui est, chez vous, noble indépendance de l'homme de génie, vis-à-vis de la vérité, serait-il, chez moi, simple bafouillement ? Et remarquez, mon cher confrère, que, si ces petites inadvertances étaient aussi condamnables que vous le dites, elles le seraient bien plus dans un roman naturaliste que dans une critique de théâtre, qui n'affiche point de prétention à une minutieuse exactitude dans le détail.
Sarcey avait raison. Des erreurs, des méprises, des confusions d'époques, peuvent se produire dans tous les ouvrages, et ne sauraient leur ôter tout mérite. On doit négliger leur insignifiance. Comme le dit Sarcey, ce n'est pas parce que les crevettes seraient désignées sous leur couleur naturelle, grise ou plutôt opale, que la précocité gourmande d'Estelle se trouvera plus ou moins bien dépeinte et cessera d'être portée à la connaissance du lecteur, ce qui était le but cherché. On abusait beaucoup, autrefois, dans les revues littéraires, de la poursuite des anachronismes, des sottises, des coqs-à-l'âne échappés aux journalistes les plus en renom. Parfois, ces bévues, bruyamment signalées, étaient tout simplement des coquilles d'imprimerie, par exemple, en matière d'anachronisme dû à un chiffre retourné ou changé. Ces terribles corrigeurs de textes mettaient un pauvre diable de correcteur d'imprimerie en posture de perdre son emploi. Mais ici, le reproche d'inexactitude, renvoyé à Zola se targuant de sa documentation, était un procédé piquant de polémique.
Les rieurs
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