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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dis-je à voix
basse en lui prenant les mains, que te dire sinon que la curation est simple de
la maladie dont nous sommes tous deux travaillés.
    — Ha, dit-elle avec un soupir,
vous en parlez simplement, étant homme, et homme noble. Mais moi, qui suis
fille, et chambrière, guettée que je suis par Dame Rachel comme mulot des
champs par le faucon, je risque mon congédiement – et qui plus est, d’être
grosse.
    — Oh, pour ça, lui dis-je à
voix basse à l’oreille, je connais les herbes et où les mettre. Remède que je
tiens de mon père, et qui est sûr.
    Et ce disant, me trouvant si près de
sa petite oreille, je baillai à son lobe si mignon un petit poutoune, puis un
autre, et enfin un petit mordillement qui la fit rire. Et riant, elle
s’ococoula dans mes bras, et penchant sa jolie tête à droite, à gauche, elle me
donnait tout son cou à baiser.
    — Ha, moussu ! dit-elle
quand à la suite de ce mignonnement, je l’allongeai à mon côté, qu’est
cela ? Je partage votre lit ! C’est gros péché !
    — Tu le confesseras à ton curé.
    — Oh, que nenni ! Il le
répéterait tout chaud à Dame Rachel !
    — Dis-le à un autre prêtre…
    — Mais je n’en connais point
d’autre. Ha, moussu, si ce n’était péché, comme j’aimerais tout cela !
Mais c’est grande abomination, et je ne veux ! Je ne veux !
    Et les cheveux noirs épars en
auréole autour de sa face tant mignonne et naïve, plus faiblement et à chaque
baiser murmurant : « Je ne veux », m’en eût voulu pourtant de
les cesser, tant qu’à la fin, la lune aidant, et son silence, et la tiédeur de
l’air, elle fut à moi, et moi à elle.
    Ha, certes, Cicéron se trompe quand
il affirme : « ignoratio rerum futurorum malorum utilior est quam
scientia [59]   ».
Car si j’avais pu connaître alors l’enchaînement funeste des effets qui
devaient découler pour ma pauvre Fontanette de ces embrassements, je l’eusse, à
force forcée, repoussée de mes bras où je voyais bien qu’elle était attirée en
la fleur et la flamme de son âge, je ne dirais point comme la limaille par l’aimant,
car ce dernier était en elle autant qu’en moi, et fort irrésistible
l’attraction qui en résultait en nos vertes années.
    Mais comment n’eussé-je pas trouvé,
en outre, émerveillable, de l’avoir le premier prise en son bourgeon et, qui
plus est, de l’avoir toute à moi, dans le même temps où je devais partager la
Thomassine avec trois ou quatre bourgeois pansus, sans compter ce luxurieux
chanoine qui tenait boutique d’indulgences. Mais hélas, de tous les bonheurs
qui m’échurent en cette terre, celui-là fut le plus bref, et finit en une guise
à me tordre le cœur. Car nous ne fûmes que trois mois en notre commerce
délicieux et secret – et que le lecteur me pardonne de n’en pas parler
plus outre, car je ne puis, ce jour d’hui encore, en dire mot ni miette sans
que la gorge m’en serre excessivement au souvenir de la suite affreuse que le
sort réservera à nos amours de lune.
     
    *
    * *
     
    Comme Fogacer l’avait prévu,
Rondelet mort, le Docteur Saporta fut élu Chancelier de l’École de Médecine et,
Fogacer m’accompagnant, je l’allai voir fin septembre pour la raison que j’ai
dite.
    Bien qu’il fût fort étoffé, Saporta,
qui était marrane, et huguenot, vivait plus chichement qu’aucun médecin de la
ville, et logeait en maison mesquine rue du Bras-de-fer, dont la pente était si
raide qu’on l’appelait en Montpellier la devalada  : ni cheval ni
charroi n’eussent osé s’y engager, et pour cette raison, la rue eût pu être
calme, sans une nuée de drolissous clabaudeurs qui y batifolaient quasiment
tout le jour avec des planchettes garnies de petites roues de bois sur
lesquelles, à plat ventre, ils se laissaient glisser du haut de la rue jusqu’au
bas, à leurs considérables risques, car ils se retrouvaient souvent toquant
contre un mur, ramassant plaies et bosses, et leurs carrosses en miettes.
    Tout ce remuement faisait dans la
rue du Bras-de-Fer un tintamarre à vous étourdir les oreilles. Et celui-là
apaisé quand les galapians étaient retirés en leurs lits, un autre s’ensuivait,
bien pire que le précédent, étant fait des jurons, querelles, rixes et chansons
sales et payennes qui sortaient d’une taverne dite – que le Christ lui
pardonne ! – de la Croix-d’Or et où, la nuit durant,
s’agrégeaient, braillaient, buvaient, jouaient

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