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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aux dés et forniquaient tout ce
que la ville comptait de gueux et de ribaudes.
    Ainsi vivait nuit et jour en cet
enfer du bruit et en rue mal famée – et plus mal même que la rue des
Étuves, où officiait une nuée de gouges – le Chancelier de notre école,
lequel supportait d’un cœur patient ces incroyables incommodités, pour ce qu’il
possédait en toute propriété, en cette même rue, au N°32, un fort beau Jeu de
Paume, sur le ménagement duquel il voulait, à tout instant, l’œil garder et de
fort près, pour le profit qu’il en tirait.
    Ayant suivi les cours d’été du
Docteur Saporta, j’avais vu le terrible régent, mais de loin, l’assistance
étant fort nombreuse et je l’avais aussi entr’aperçu plus d’une fois alors que
je jouais de la raquette contre Fogacer, le bachelier m’ayant donné à entendre
que je ne saurais être dans les bonnes grâces de Saporta si je ne lui apportais
ma pratique. Et à chacune de ces visites, après un fort bref regard de son œil
noir et méfiant sur les joueurs, et pas l’ombre d’un sourire ni d’un signe de
tête à Fogacer, qui profondément le saluait, le Docteur Saporta, la mine
farouche, conciliabulait à l’écart avec le Paumier, lequel, plié en deux, lui
rendait compte à voix basse et tremblante des pécunes qu’il avait reçues.
    Quand Fogacer eut toqué à la porte
basse du logis, il s’écoula un long moment avant qu’un bruit de pas ne se fît
entendre, puis un judas s’ouvrit, découvrant un fort grillage de fer, derrière
lequel nous épia un œil dur et ridé.
    — Et que voulez-vous
céans ? dit une voix fort rufe, de femme ou d’homme, je ne saurais dire.
    — Je suis le Bachelier Fogacer,
et celui-ci est M. de Siorac. Le Chancelier nous attend.
    Après quoi, le judas se referma, les
pas s’éloignèrent et de nouveau un temps fort long se passa.
    — Fogacer, dis-je en faisant la
moue, est-ce là le logis d’un homme qu’on dit si pécunieux ?
    — Hé, mais il l’est ! Il
est à soi seul plus pourvu d’argent que le Doyen Bazin, le Docteur Feynes et le
Docteur d’Assas (Fogacer nommait ces médecins, pour ce qu’ils étaient, avec le
Chancelier, les quatre professeurs royaux de notre école). Car notre Saporta
possède des vignes, des prés, des moulins, des terres à blé, le Jeu de Paume
que vous savez, des parts dans des négoces maritimes, et outre cela, plusieurs
maisons fort belles en Montpellier, qu’il loue à des personnages de la
noblesse, se contentant de cette humble bâtisse.
    — Ha, dis-je, n’est-ce pas
grande pitié qu’un homme si bien garni vive si mal ?
    — Vit-il si mal ? dit
Fogacer. C’est compter sans les plaisirs de l’avarice qui, chez l’avaricieux,
passent tous les autres en volupté, y compris ceux qui tant vous plaisent.
    — Oh, pour ceux-là, dis-je,
Saporta n’y est pas insensible, puisqu’il épouse Typhème.
    — Sensible ? dit Fogacer.
Que nenni ! Il ne veut d’elle que des enfants à qui léguer ses biens, et
rien d’autre !
    — Comment croire cela ?
dis-je. Elle est fort belle.
    — Vous la voyez ainsi, Siorac,
dit Fogacer en arquant son sourcil et m’envisageant de côté, parce que vous
avez fait du cotillon votre dieu, tout huguenot que vous soyez. Mais pour
Saporta, dont la pécune est le dieu, Typhème n’est qu’une fille de bonne maison
qui lui apportera du bien et assurera sa descendance. Ainsi va le monde, où
chacun pense à sa chacune idole : vous, à la garce ; et lui, à l’or.
    — Ha, dis-je à voix basse, s’il
en est ainsi, je plains la pauvrette de venir vivre en ce bas logis avec cette
chiche face.
    — Plaignez-la, dit Fogacer,
mais sans pour autant la consoler. Il vous en cuirait, Siorac. Mais,
poursuivit-il en haussant les épaules, peu vous chaut : vous n’avez cure
de mes sermons.
    Et qu’il fît ici allusion à mon
commerce secret avec la Fontanette – contre lequel il m’avait mis en
garde –, je ne sus le dire ni à sa mine ni à son ton, et n’eus même pas le
temps d’y penser beaucoup, car les pas revinrent et il se fit un grand bruit
derrière l’huis, de cadenas décadenassés, de serrures déverrouillées et de
barres ôtées, comme si cette porte-là eût clos une citadelle.
    Mais si, comme le cuidait mon père,
il n’est bons murs que de bons hommes, fort faible et fragile s’avérait en
réalité la défense de cette place, car dedans nous n’y trouvâmes, à part le
maître du

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