En Nos Vertes Années
royaux.
— Le Docteur Rondelet l’a sondé
avant son département pour Thoulouse et l’a trouvé capable.
— Le Docteur Rondelet est mort,
dit Saporta sans que bougeât un muscle de sa face. Ergo, le Docteur Rondelet ne
peut opiner par écrit.
Bien qu’on ne pût disputer la
logique de cette proposition, son insensibilité nous laissa pantois. D’autant
que le Chancelier Saporta, s’accoisant, avait l’air d’enterrer mon inscription
avec le pauvre Rondelet.
— Alors, que
faisons-nous ? dit enfin Fogacer du même ton modeste et doux dont je
compris, au bout d’un temps fort bref, qu’il était le seul dont on pouvait user
avec le Chancelier.
— Je vais te le dire, dit
Saporta. Tu conduiras Siorac chez le Docteur d’Assas, lequel, l’examinant, me
dira, par écrit (haussant la voix sur ces mots) son opinion. Si Siorac
est digne d’entrer, il recevra de ma main un écrit (haussant la voix
derechef) lui commandant de verser incontinent dans mes mains trois livres
tournois pour prix de son inscription. Quoi fait, Siorac recevra du Docteur
d’Assas un écrit lui faisant connaître qu’il est écolier en notre École.
En possession de ce billet, Siorac m’adressera un écrit me demandant
d’être son père. Et que ma réponse soit oui ou non, je la lui écrirai.
Ayant quasiment rugi ce dernier mot,
le Docteur Saporta s’accoisa, envisageant non point mon pauvre petit moi qui, à
ses yeux, n’existait pas, puisque je n’étais pas encore immatriculé par
écrit en son École, mais le bachelier Fogacer dans les yeux duquel son
regard noir semblait vriller.
— Si j’entends bien, dit
Fogacer du même ton soumis, vous désirez porter remède aux choses, et faire
désormais par écrit ce qui, du temps de feu notre maître Rondelet, se faisait
par parole de bouche.
— Tout justement. Vox audita
périt, litera scripta manet [60] .
Puis passant du latin en français,
la voix vibrante, Saporta poursuivit :
— Fogacer, le bon ménagement
d’une École suppose que le Chancelier garde une trace écrite de tout. Mais,
dit-il – et tout soudain, il y eut dans son œil un brillement
farouche –, ce n’est là qu’un des innumérables abus que je veux céans
rhabiller. Quand j’aurai mis de l’ordre dans l’anarchie des inscriptions, je
porterai le fer et le feu dans les diplômes forgés, faux et délictueux. Je
changerai tous les ans le sceau de ma chancellerie, pour qu’il ne soit point
par les faussaires imité. Je n’accepterai que ne pratique médecine en
Montpellier aucun docteur étranger à notre École qu’il n’ait auparavant
justifié ses connaissances devant moi-même et les professeurs royaux,
n’exceptant pas même, Fogacer, un docteur de Paris – Paris, dont l’École
de Médecine est, comme bien nous savons, creuse, scolastique, bavarde et d’une
médiocrité infinie.
Ceci, qui m’étonna et qui fut fort
approuvé par Fogacer, me parut relever du déprisement plus passionné que
raisonnable dont les Montpelliérains accablent la capitale. Mais il va sans
dire que je tus mon sentiment, sachant bien qu’une paille n’arrête pas un
torrent. Et d’ailleurs, comment eussé-je pu opiner, puisque indigne encore
d’entrer, je n’existais pas à ses yeux ?
— Je punirai, poursuivit
Saporta, ceux qui osent pratiquer notre art sans diplôme, et ranimant une saine
coutume qui, sous Rondelet, était tombée en quenouille, chaque fois que nous
saisirons au collet un de ces charlatans, je le ferai promener à travers la
ville par nos écoliers, attaché sur un âne, la face tournée du côté de la
queue, et en cet équipage, je le jetterai hors des murs !
— Bene !
Benissime ! dit Fogacer, et fort sincèrement à ce
qu’il m’apparut.
— Mais par-dessus tout,
poursuivit le Docteur Saporta, je remettrai à leur place, qui est seconde et
subalterne (il dit ceci en grinçant des dents), les apothicaires qui ont
profité de l’insigne faiblesse du Chancelier Rondelet pour se livrer en
cachette à d’infinis abus !
Reprenant souffle, le Docteur
Saporta redressa son torse maigre et avec le même brillement farouche de son
œil noir, il reprit, ne s’adressant qu’à Fogacer, que seul ici il
envisageait :
— Je respecte Maître Sanche,
pour sa science et sapience. Je m’honore d’être sous peu son gendre. Mais je ne
tolérerai pas plus outre que dans le secret et silence de son apothicairerie,
il se livre au mirage des urines ! C’est là un
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