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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ses dernières heures à faire sa paix avec Dieu. Il expira le vingtième
jour de juillet.
    Ce récit ayant donné à Maître Sanche
le temps de se reprendre, il nous fit signe de nous asseoir dès que Fogacer eut
fini, et dit, sans se lever, d’une voix encore basse, voilée, mal assurée, et
qui avait grand’peine à passer le nœud de sa gorge :
    — Ainsi, c’est en raison de son
émerveillable dévouement aux malades que ce grand médecin a rendu sa belle âme
à Dieu, aussi exemplaire en sa mort qu’il l’avait été en sa vie. Laquelle fut
brève, mais n’est pas achevée, puisque le pensement de cet homme d’une humanité
plus qu’humaine vivra avec nous. Brevis a natura nobis
vita data est, at memoria bene redditae vitae est sempitema [58] .
    En citant cet adage, la voix de
Maître Sanche se raffermit et sa face reprit quelque couleur, comme si les
vocables de la langue latine avaient sur lui un effet roboratif, et par la
seule magie de leurs doctes sonorités, lui redonnaient fiance et foi en son
destin sur terre. Ainsi fortifié, le maître saisit sa cuillère, moins par
l’effet de la volonté que par celui de l’habitude, et la planta dans l’humble
brouet que la Fontanette nous servait, la mine contrite à nous voir tous dans
la désolation, mais toutefois s’arrangeant, en remplissant mon écuelle, pour me
toucher la main – laquelle je retirai incontinent, observant que Dame
Rachel, de ses yeux d’agate, n’avait pas perdu miette du manège de la pauvrette.
Mais peux-je dire ici sans trop de vergogne et sans vouloir fâcher le lecteur
que, en dépit de l’affliction du moment et de la part sincère que j’y prenais,
cet attouchement me donna un plaisir extrême, tant il m’était difficile, en mes
vertes années, de m’attarder à l’idée de la mort, ou même, tout gonflé de sève
que j’étais, de croire qu’un jour elle pourrait m’atteindre.
    Cependant, cette désolante nouvelle,
venant après la lettre de mon père, me rendit encore plus amer l’éloignement de
mon nid de Mespech, des beaux bras de Barberine, de l’amitié de tous. Plût à
Dieu que j’eusse eu la sagesse au-delà de mon âge dont m’avait loué mon père
dans sa missive. Mais hélas, comme la suite le montre bien, le sang
bouillonnait trop vif en mes jeunes veines et ni l’esseulement ni la tristesse
ne me pouvaient longtemps convenir.
    Ce soir-là, agité encore par la mort
de cet homme si bon, et par l’effet qu’elle avait produit sur Maître Sanche et
sur Fogacer – dont Rondelet, en ses études, avait été le père – je ne
pus, quoi que je fisse, trouver le sommeil dans ma chambre et j’allais toquer à
l’huis de Samson, mais en vain. Sans doute dormait-il déjà, nu sur sa flassada,
la chaleur étant étouffante, et rêvant au frais licol des bras que vous savez.
Sans mon bien-aimé frère, la solitude me navrant davantage, je poussai alors
jusqu’à la chambre de Fogacer, et sans toquer, car il ne fermait jamais le
verrou. Mais le bachelier n’était pas au gîte, ayant été, je gage, se faire
conforter dans sa détresse, je ne savais où et par qui, car Fogacer était fort
secret et cousu sur le chapitre de ses amours. Quant à moi, si fort que ce
soir-là j’eusse eu besoin d’une tendre brassée, je n’avais pas ce recours, le
vendredi – jour de Vénus – étant celui où la Thomassine recevait son
chanoine, lequel, étant homme de beaucoup de sens, savait employer au mieux
d’une charité bien ordonnée les espèces sonnantes qu’il tirait des fidèles en
échange des jours d’indulgence qu’il leur distribuait. Ainsi, les pécunes
salvatrices passaient de l’escarcelle du pécheur à l’oreiller de la pécheresse,
sans que personne, ni dans ce monde-ci ni dans l’autre, ne fût lésé, le pécheur
gagnant son purgatoire, le chanoine atteignant à la sérénité, et la pécheresse
tant tenue tant payée, et qui plus est, absoute. Car encore que la Thomassine
eût dit devant Espoumel qu’ayant maintenant de quoi elle ne vendait plus son
devant, à vrai dire elle le prêtait encore à bons intérêts, à trois ou quatre
personnages étoffés de notre ville, ce qui, sans me rendre jaloux, n’était pas
sans m’incommoder, puisque je n’avais pas accès à ma consolatrice aussi souvent
que je l’eusse voulu.
    Ainsi, privé de mon Samson, de
Fogacer, et de la Thomassine, je regagnai, tout esseulé, ma chambre, où malgré
la nuit, la touffeur me parut

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