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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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empiétement hérétique et
damnable sur les prérogatives des médecins ! Fogacer, avez-vous ouï ce
débordement ? Maître Sanche mire les urines !
    — Mais cela se fait dans toutes
les officines, Monsieur le Chancelier.
    — Cela ne se fera plus !
s’écria Saporta d’une voix forte, avec un grand geste coupant de la main. Les
urines appartiennent au médecin ! Fogacer, ramentevez-vous bien cet
intangible principe ! Tout ce qui sort d’un malade nous appartient, à nous
et à nous seuls : urines, excréments, sang, pus, humeurs, toutes ces
substances, de par leur origine et leur nature propre, relèvent du domaine
inaliénable du médecin. Et qu’aucun apothicaire n’ose y porter la main !
Certes, je ne déprise point les façonneurs de remèdes, encore qu’ils soient
maîtres, et non docteurs, et que leur état tienne davantage d’un métier
mécanique que d’un art véritable. Mais si l’apothicairerie, comme cela fut de
tout temps admis, est la servante de la médecine, la servante ne doit pas
s’arroger les droits du maître ! Je le ferai bien assavoir à ces ânes
enjuponnés !
    — Monsieur le Chancelier,
peux-je parler ? dit Fogacer de sa voix la plus douce.
    — Tu le peux.
    — Monsieur le Chancelier, me
ferez-vous la grâce de me laisser plaider pour Maître Sanche ?
    — Tu le peux.
    — Monsieur le Chancelier, quel
médecin vous donnerait tort ? C’est assurément un insigne abus, chez un
apothicaire, de mirer les urines. Mais Maître Sanche est, en réalité, plus
qu’aucun autre apothicaire de cette ville, respectueux de nos droits. Il se
refuse, quand sa pratique l’en prie, à poser des ventouses et à faire des
saignées, comme certains de ses confrères le font en catimini…
    — Ha ! Ce sont là de
diaboliques abominations, et je les connais bien ! s’écria Saporta. J’y
porterai le fer !
    — Maître Sanche, reprit
Fogacer, ne fait pas davantage de diagnostic ni de pronostic, répète
modestement en toute occasion : Non sum medicus, et ne délivre pas
de remède sans ordonnance.
    — Cela est vrai, dit le Docteur
Saporta. Maître Sanche n’est pas des pires. Cependant, il mire les
urines ! C’est crime capital et un empiétement si horrible que je ne
saurais le tolérer de Maître Sanche lui-même, eût-il dix mille filles à me
donner en mariage.
    Ceci m’eût fait rire si j’avais eu
le cœur à rire en voyant l’effrayante face que présentait le Chancelier en son
courroux. Car sourcillant, ses yeux noirs jetant des feux, tous ses traits
contractés et grimaçants, son nez blanc et pincé, sa respiration haletante, il
paraissait vouer au bûcher, non point seulement les abus qui soulevaient son
ire, mais aussi ceux qui les commettaient. Ha, pensai-je, voilà un homme
d’humeur chagrine et colérique ! Et que me préserve le ciel, s’il veut de
moi pour fils, d’encourir jamais son déplaisir !
    Fogacer, qui avait cette
émerveillable qualité de toujours clore son bec quand il le fallait, ne poussa
pas plus avant sa défense de Maître Sanche et, se bridant, s’accoisa. Et quant
à moi, je n’avais ni à piper ni à broncher, puisque j’étais encore dans les
limbes, n’ayant pas encore d’existence écrite sur les registres de l’École.
    Ces deux silences se conjuguant
finirent par peser assez pour parvenir jusqu’à Saporta, malgré les éclairs et
le tonnerre dont il s’était entouré. Son œil fulgurant se posant sur nous, il
parut étonné de nous voir là et dit en latin sur un ton fort abrupt et fort peu
civil :
    — Notre entretien est terminé.
    Et sans répondre d’un mot, d’un
signe ou d’un regard à nos salutations, il s’en fut.
    Ce n’était point mince affaire, au
sortir du chiche logis de Saporta, de dévaler la devalada, tant la
presse était grande, sur le pavé, de ces galapians morveux qui jouaient aux
billes et toupies avec des cris à déboucher un sourd, battant leurs tambourins
de toute sorte de batteries, conchiant la chaussée de leur bren, compissant les
passants, ou branlant effrontément à leur nez leur guilleri, chantant des
chansons sales, ou leur jetant des cerceaux ou bâtons dans les jambes pour les
faire choir, sans compter que, sautant ci et sautant là, il fallait se garer
aussi de leurs petits chariots lancés à grand bruit sur la pente, lesquels,
s’ils vous eussent choqué, vous eussent cassé bras et jambes.
    — Ha ! dis-je. Mais c’est
l’enfer, ici !
    — Pire est

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