En Nos Vertes Années
la nuit, dit
Fogacer. Car le jour, vous ne voyez céans que bren et pisse. Mais la nuit, le
sang coule. Nulle garce ne passe là sans se faire forcer, et nul homme sans
être traîtreusement occis d’un coup de cotel dans le dos, et dépouillé, et
laissé nu en son dernier jour comme au premier jour de sa vie.
— Et le guet ?
— Ces truands le rossent, s’il
s’aventure ici. Ils ne craignent que Cossolat et ses archers, et aussi d’aucuns
gentilshommes de la ville qui, si on leur a molesté servante ou dépêché un
domestique, jurent vengeance, s’arment en guerre, fondent sur la devalada, saisissent deux ou trois de ces gueux, et les envoient tous bottés au gibet.
Mais ce n’est là qu’amusette de noble : la fourmilière n’est pas détruite.
— C’est donc véritablement
l’enfer. Et comment Saporta peut-il y vivre, à moins qu’il n’en soit le
Pluton ? Ha, Fogacer, c’est un homme terrible ! Et pourquoi faut-il
qu’il soit mon père ? N’eût-il pas mieux valu choisir le Docteur d’Assas,
dont on dit qu’il est si aimable ?
— Ha d’Assas ! dit
Fogacer. Vous savez que sa défunte femme, Catherine, était la fille de Rondelet
(tous ces médecins et apothicaires se marient entre eux, comme vous l’avez
noté). D’Assas vous eût invité en sa riante seigneurie de Frontignan, servi
aimablement de son vin et de ses tartelettes, en vous parlant de sa vigne. Mais
il n’eût rien fait d’autre. Saporta est un homme de fer, Siorac, mais sur ce
fer vous pourrez prendre appui. En outre, il sera meilleur ménager de l’École
de Médecine que Rondelet, lequel fut grand médecin, mais a laissé croître
d’incroyables abus sans y porter la faux. Ne jugez pas Saporta à sa mine, ni à
son avarice, ni à son humeur, mais aux services qu’il peut rendre à l’École et
à vous-même.
Disant cela, qui me conforta quelque
peu, Fogacer s’arrêta devant le N°32 de la rue du Bras-de-Fer :
— Jouerons-nous à la
Paume ? Cela vous plairait-il ?
— Pas ce jour d’hui. Je suis
appelé ailleurs.
— Ha ! dit Fogacer en
arquant son fin et noir sourcil. Vous allez sans doute porter vos dévotions en
l’église Saint-Firmin ?
— Nenni ! dis-je en riant.
Pour une fois, vous errez ! Je m’en vais visiter Espoumel en sa geôle.
— N’est-ce pas étrange que vous
vous soyez pris d’affection pour ce gueux, et si fidèlement l’alliez
voir ?
— Je lui dois la vie.
— Il vous devait la
sienne : vous êtes quittes.
— Oh, que non pas ! Ma vie
est tant plus belle que la sienne : je suis donc encore en ses dettes.
— Ha, Siorac !
Siorac ! dit Fogacer. Malgré mœurs débridées, on ne peut que vous aimer.
Et là-dessus, me faisant un petit
sourire, il s’en alla en sautillant, me laissant tout songeux, car en toute
apparence, il savait tout de mes mœurs, et moi, je ne savais rien des siennes.
Et ne le supposais point pour autant escouillé, bien loin de là.
J’avais mes entrées en la prison de
ville grâce à Cossolat, lequel m’avait recommandé au prévôt, lequel m’avait mis
dans les bonnes grâces du geôlier, et celui-ci me les continuant parce que je
lui graissais le poignet. Ainsi j’avais obtenu qu’on serrât mon Espoumel non
pas en cellule obscure et fétide, comme il était d’abord, mais dans la cellule
où dormaient à l’accoutumée les condamnés à la hart ; laquelle avait une
fenêtre grande assez, quoique munie de forts barreaux, pour laisser entrer le
soleil, comme si on eût voulu accorder à ces misérables l’ultime privilège de
voir la beauté du jour avant de les en priver à jamais.
Quand le geôlier m’eut ouvert la
porte de la cellule, et m’y eut enfermé avec Espoumel, celui-ci se leva, me
dominant d’une bonne tête, étant long et maigre, encore que sa maigreur cachât
beaucoup de force, étant tout en muscle et en nerf, et point si laid de visage
si on l’avait débroussaillé de sa barbe et de ses cheveux, lesquels étaient
fort longs, hirsutes et sales. Il me salua, son petit œil noir niais mais point
méchant m’envisageant avec la gratitude d’un chien, tandis que je posais sur la
table les viandes qu’en quittant la rue du Bras-de-Fer, j’avais achetées pour
lui.
— Ha, moussu ! dit-il. Que
ferais-je sans votre braveté ! Moi qui, depuis un mois déjà, tiens prison
à pain de douleur et eau d’angoisse, et plongé dans les repentailles de mes
vilains péchés ! Encore avais-je
Weitere Kostenlose Bücher