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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de vivre est, pour un aîné,
de pressurer les laboureurs de sa châtellenie, et pour un cadet, d’embrasser
l’Église, ou le métier des armes. Mais, outre que ma foi me ferme l’Église et
ses gras bénéfices, dois-je mettre mon épée au service d’un prince dont on ne
sait si demain il ne va pas mettre derechef les huguenots hors la loi ?
    Mon père et Sauveterre tiennent de
Calvin que toute pécune est propre qui est honnêtement gagnée, et que c’est un
sûr signe de la faveur du ciel, quand il nous met dans l’esprit d’élire ce qui
nous sera profitable. À cette maxime, si fidèle à l’esprit de la Bible, ils
doivent l’inouïe prospérité de Mespech.
    Quant à moi, animé des mêmes
dispositions, il me déplaît de coûter à la frérèche tant d’écus, comme me
déplaît aussi la dépendance où je suis d’elle, car j’opine qu’un homme qui
reçoit d’un autre – fût-ce de son père – sa subsistance n’est encore
qu’un enfant. Étant cadet et ne pouvant attendre que de moi-même l’avancement
de ma fortune, je trouve très déplorable de ne me vêtir que de noir, alors que
je suis déjà dans la faveur de M. de Joyeuse, et pourrais l’être davantage si
je pouvais apparaître devant lui dans un équipage qui ne me ferait pas
mépriser. Faut-il le dire ? Je ne vois dans le pourpoint de satin bleu
dont l’envie me travaille rien de « futile » ni de « frivole »,
comme l’écrit Sauveterre, mais un moyen en vue d’une utile fin, comme le sont
pour moi ces petetas, dont je ne tiendrai pas boutique ni marchandise
sur la place publique, mais tirerai avantage en une plus subtile et honorable
guise, comme je dirai. Cheminant tout en méditant, je m’aperçus que j’allais du
côté de Saint-Firmin, et l’on pense bien que ce n’était pas en l’église
papiste, mais en face, que me portait ma particulière idolâtrie. Étrange est le
déportement de la cervelle de l’homme ! Et combien il lui est facile, quoi
qu’on dise, d’avoir deux pensées à la fois ! Car, tout à mes plans
d’avenir, néanmoins, depuis qu’Espoumel m’avait parlé de ses petetas, je
ne laissai pas de me ramentevoir l’alberguière de Castelnau d’Ary, laquelle on
appelait la patota, qui est même mot en différent dialecte, et veut dire
poupée en notre parler d’oc. Et resongeant aux délectables gâteaux que la bonne
hôtesse m’avait baillés à mon département de son auberge, je m’en vins, en
pensée, à remâcher ceux que j’avais gloutis la veille à l’Aiguillerie, et
passant par pente insensible de la pâte à la pâtissière, et celle-ci non moins
succulente, je me sentis tout soudain si friand de la Thomassine et pris pour
elle d’un tel appétit qu’il me le fallut sur l’heure apaiser.
    Je ne le pus. La Thomassine n’était
pas au logis, et n’y serait de tout le jour, m’apprit Azaïs, laquelle, se
tortillant comme un petit serpent, me fit quelques agaceries, chattemitesse
qu’elle était. J’y coupai court, disant – chattemite que j’étais
aussi ! – que je ne voulais point être la cause de son
congédiement : scrupule, pourtant, qui ne m’avait pas arrêté quand il
s’était agi de Fontanette.
    Là-dessus, je la quittai, fort
satisfait de ma retenue, qui n’était pourtant que calcul, et pour une fois,
prudence. Et que prudence ne soit pas ma vertu cardinale, c’est ce que je ne
peux celer. Car un mois plus tard, et dans un domaine qui ne touchait pas aux
garces mais aux études, je commis, avec d’aucuns écoliers de mon école, une
action que mon père, à qui par lettre je la confessai, hautement blâma,
l’appelant impie et insensée, et pour le citer (car sa conclusion, pour plus de
poids, était rédigée en latin) atrocissima.
     

CHAPITRE VIII
    Le dixième jour du mois d’octobre,
j’allai sur ma jument Accla visiter le Docteur d’Assas à Frontignan, Fogacer
m’accompagnant monté sur l’Albière de Samson tant pour m’aider à démêler les
routes que par friandise pour le muscat du régent.
    Celui-ci, m’expliqua Fogacer en
chevauchant par les chemins pierreux, était marrane et s’appelait, en réalité,
Salomon, mais trouvant son nom par trop voyant et hébraïque, il avait adopté
celui de sa terre de Frontignan et se donnait du M. d’Assas, ce qui, dans les
commencements, avait fait sourciller les marranes, ses frères, d’autant que, se
faisant huguenot, le bon docteur avait abandonné les rites secrets

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