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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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jusqu’à ce jour un gentil compagnon, mais
les archers me l’ont pris ce matin, et mené pendre au Champ des Oliviers, pour
avoir larronné son maître de dix écus ! Et je me pense que c’est bien
inégale justice que doter pour si peu à un honnête garçon l’agrément de la vie…
tandis que moi, qui ai commis tant de larcins et meurtreries, j’attends la
grâce du Roi.
    — Espoumel, dis-je. La justice
de l’homme tient à l’infirmité de sa nature. Mais au ciel, tout est rétabli par
la grâce de Dieu.
    — Et qui en est revenu pour le
dire ? dit Espoumel, me gelant le bec par cette question naïve, mais
cependant impie. Ha, moussu, poursuivit-il, si vous aviez pu voir ce gentil
compagnon dans les affres de sa proche mort, tendre de cœur que vous êtes, vous
eussiez donné un écu au bourreau, et celui-ci l’eût étranglé avant que de le
pendre.
    — Mais n’est-ce pas même
mort ?
    — Ha, que nenni, moussu !
Quand le bourreau, en vous passant la corde au col, s’arrange, sans qu’on le
voie, pour vous écraser du pouce l’os de la gorge, vous mourez sur l’instant.
Mais s’il vous pend tout vif, c’est votre propre poids qui, à petits coups,
vous étouffe et il y faut un long moment, et c’est là un mourir affreux.
    — Et où as-tu appris tout
cela ? dis-je, fort étonné qu’Espoumel en sût davantage là-dessus qu’un
écolier en médecine.
    — Parce que je suis né vilain,
dit Espoumel, et que c’est là une sorte d’hommes qu’on pend.
    Là-dessus, m’accoisant, je m’assis
sur son escabelle, mais à quelque distance de lui, comme mon père m’eût
recommandé de le faire, pour non pas attraper ses poux, et à vrai dire, il
puait aussi comme putois en cage, n’ayant de l’eau en cette geôle que juste
assez pour boire.
    — Espoumel, dis-je, que
tiens-tu dans tes mains ?
    — Oh, ce n’est rien !
dit-il. Seulement une image de mon geôlier, que j’ai taillée dans un morceau de
bois pour ne pas tant languir, les jours étant si longs.
    — Voyons, dis-je. Et au bout de
son long bras, il me tendit ladite image, laquelle était une petite statue de
quatre pouces de haut, fort bien labourée et proportionnée, et tenant même
assez de son modèle.
    — Espoumel, dis-je, c’est là
une belle et bonne ouvrage.
    — Elle n’est point si mal
faite, dit Espoumel, son petit œil noir brillant du plaisir que ma louange lui
donnait, mais je ferais mieux si, en plus du petit couteau qu’on m’a laissé,
j’avais un ciseau, une gouge, une râpe, et des morceaux de bois plus tendre.
    — Tu les auras.
    — Ha, moussu, dit Espoumel, si
tant vous aimez ma peteta, je vous l’eusse donnée, si je ne l’avais
promise au geôlier. Mais j’en taillerai une autre pour vous, si vous voulez.
    — Pourrais-tu la tailler
d’après un modèle que je te dessinerai ?
    — Oui, moussu. Si votre modèle
est à la dimension.
    — Et combien de temps te faudrait-il
pour tailler ta peteta ?
    — Un jour, du moins si vous me
baillez un morceau de bois tendre, scié à la dimension, ainsi que les trois
outils que j’ai dits.
    Je fus un moment dans mon pensement,
car déjà je concevais à ce propos un dessein dont j’attendais beaucoup.
    — Espoumel, dis-je, tu me
donneras la première peteta que tu vas tailler, mais je te paierai les
suivantes, car j’en veux une par jour, et cela pendant tous les jours que Dieu
fait et tant que tu attendras céans la grâce du Roi. Ainsi, tu ne seras pas
dans ta geôle désoccupé, et quand tu sortiras, tu auras quelque pécune pour le
manger et pour le boire.
    — Ha ! mon noble
moussu ! dit Espoumel, votre braveté est infinie, mais si je suis pour
rester céans plus d’un mois, et deux peut-être, que ferez-vous de toutes ces petetas ?
    — Des soldats, Espoumel !
dis-je en riant. D’aucuns français, le reste, anglais. Et avec les deux armées,
l’une contre l’autre dressée, je referai le siège de Calais, où s’est illustré
mon père.
    Là-dessus, lui promettant ma visite
pour le lendemain, ainsi que les trois outils et les morceaux de bois tendre
sciés, je m’en fus, fort content de lui et de moi, ayant dans l’esprit de tirer
quelque profit de ces petetas. Je sais bien que sourcilleront, à lire
ceci, d’aucuns de mes lecteurs qui, trouvant déjà mauvais qu’un gentilhomme
étudie la médecine, tordront le nez davantage à le voir s’employer à tirer
argent des choses. Pour eux, la seule façon noble

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