En Nos Vertes Années
coquins
s’accoisassent.
Bien vergogné, comme bien on pense,
de faire les frais publics de cette sournoise disputation entre nos régents, je
recopiai l’ordo lecturarum d’un bout à l’autre sur le feuillet vierge du
livre. Quoi fait, Saporta, saisissant la plume, signa son nom en bas et à
droite sous la dernière ligne de mon texte, le collant à cette ligne sans
ménager aucun vide ni espace où Bazin eût pu se glisser et comme s’il craignait
encore que le Doyen imaginât de signer à gauche sur le même plan que lui, il
remplit ladite partie de hautes et rageuses hachures qui en interdisaient
l’accès. Ainsi fut le Doyen Bazin contraint de signer, non seulement en second
mais sous le Chancelier Saporta qui en cette Saint-Luc l’emporta à
jamais sur lui et établit sur l’École sa complète domination.
Qu’elle fût bénéfique, c’est ce
qu’en mes mûres années j’opine encore, combien qu’alors il m’en cuisît, à moi,
et à d’autres, comme on va voir.
*
* *
Le Chancelier, renvoyant l’Assemblée,
s’en fut majestueusement le premier, suivi du Doyen Bazin, des deux autres
Professeurs Royaux puis des docteurs ordinaires dans l’ordre de l’ancienneté de
leur grade, puis des licenciés, et enfin des bacheliers. Et comme nonobstant
cet exode, les écoliers de deuxième année, les novices, les compagnons
apothicaires et les apprentis chirurgiens restaient dans la salle à clabauder
chacun en son groupe et clan – Fogacer revint nous dire, par le
commandement de Saporta, d’avoir à vider les lieux tout soudain, et de rentrer
paisiblement chacun en sa chacunière, le Chancelier, ajouta-t-il, interdisant
l’initiation à laquelle, à la Saint-Luc, les anciens avaient accoutumé de
soumettre les novices. Sur quoi s’éleva chez Merdanson et ses séides clameurs
et bramements.
— Messieurs les Écoliers, dit
Fogacer en levant ses longs bras d’araignée pour apaiser le tumulte. Vous avez
ouï le commandement du Chancelier. Pour moi, j’ai peu de chose à dire, n’étant
ni votre abbé, ni votre procurateur, tout au plus votre conseiller. Cependant
si conseil il y faut, le voici : que si j’étais en votre place, je
craindrais de contrevenir aux ordres du Chancelier, tant désireux il me paraît
de frapper dès le premier jour un grand coup et de faire un exemple.
— Mais ventre Saint-Vit !
La coutume est irréfragablement violée ! s’écria Merdanson, la peau de la
face rougissant à l’égal de sa flamboyante chevelure.
— Ha ! dit Fogacer, en
levant un sourcil, il en est de la coutume comme de femme forcée. Elle crie
mais se soumet.
Sur quoi il tourna les talons et
s’en fut, les hurlements reprenant dans son dos.
Dans le remuement, la rumeur et la
confusion qui suivirent ces déclarations, Luc se glissa auprès de moi et, me
prenant par le bras, me dit d’une voix douce et tremblante :
— Mon Pierre ! Obéissons
au Chancelier ! Quittons tout soudain les lieux ! Rentrons chez
nous !
— Moi, dis-je, quitter les
lieux ! Fuir devant ce Merdanson ! Que non pas ! Il me faut
l’affronter ce jour, quoi qu’il m’en coûte, et vider l’aposthume.
Ce n’était pas pourtant que j’en
eusse tant le désir, car le gojat était haut, large et bien membré, et c’est à
mains nues et sans épée que je le devais combattre. Pour tout dire, la peur, à
l’instant même que je faisais le fier, m’en tenaillait quelque peu le ventre :
tenaillement que je n’eus garde toutefois d’écouter, opinant que ce n’est point
la tripe qui doit avoir chez l’homme seigneurie, mais la tête.
Cependant, malgré l’ordre que leur
avait mandé le bachelier Fogacer (et comme je le compris plus tard, c’était à
dessein et par machiavélienne ruse que le Chancelier avait affaibli son propre
commandement en le faisant porter par un autre) les écoliers ne quittaient
point les lieux, Merdanson et ses suppôts parce que sans oser encore s’y
mettre, ils voulaient abaisser les novices et tirer vengeance de moi ; et
les novices, parce qu’ils me regardaient comme leur champion et se cachaient
derrière moi, effrayés qu’ils étaient par la tyrannie des anciens. Les uns et
les autres à voix basse conciliabulaient entre eux et, à les bien considérer,
on eût pu plus facilement tirer un pet d’un âne mort que d’eux une résolution,
tant ils hésitaient à passer outre aux volontés du Chancelier.
Cependant, deux des lieutenants
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