En Nos Vertes Années
que
Merdanson avait dépêchés aux nouvelles, écoliers qui se nommaient Gast et
Rancurel, le premier rond comme un tonneau, le second, plat comme une planche,
revinrent tout courant annoncer qu’ils avaient vu Saporta monter dans le
chariot du Docteur d’Assas, que tous deux faisaient route vers Frontignan, en
toute apparence pour y festoyer la Saint-Luc et y boire sicut terra sine
aqua [69] .
— Ventre Saint-Vit !
s’écria Merdanson en bondissant sur l’estrade, mes bons enfants, l’École est à
nous ! Quand le chat s’absente, les souris forniquent au grenier !
Ventre Saint-Vit ! Messieurs les novices, apothicaires et chirurgiens,
nous allons faire de vous sur l’heure les plus harassées bourriques de la
création.
— Quoi ! s’écria alors un
apprenti chirurgien qui s’appelait Carajac et bien nommé, car il était, en
effet, carré des épaules à ne craindre ni Dieu ni Diable, Monsieur, allez-vous
initier à votre guise les chirurgiens et les apothicaires alors qu’ils ne sont
même pas écoliers en votre école ?
— Compains ! s’écria
Merdanson, avez-vous ouï cet étron ? Depuis que le fœtus Bazin a entrepris
de recevoir ce gueux d’Ambroise Paré dans l ’ordo lecturarum, les
méchants barbiers que voilà ne se sentent plus pisser. Étrons qu’ils sont, ils
ouvrent leur petite gueule merdeuse et osent poser des questions aux
anciens !
Un fort murmure s’éleva alors parmi
les chirurgiens, fort dépits et d’être appelés barbiers, et d’ouïr insulter
leur Maître vénéré. Carajac, sans courber le front, dit alors d’une voix
forte :
— Monsieur, vous ne m’avez pas
répondu.
— Et je vous réponds !
hurla Merdanson derrière qui, sur l’estrade, les anciens, fort échauffés,
s’étaient regroupés. Et la réponse est oui ! Moi Abbé des Écoliers, fort
légitimement élu par mes pairs selon la coutume et ayant en ces matières
pouvoir décisoire, je n’excepterai de l’initiation ni les barbiers ni les
épiciers ès remèdes. Et à toi, misérable petite bouse, je réponds : et
bren ! et bren !
Je jugeai le moment d’entrer en lice
et m’avançant je dis d’une voix haute et claire :
— Merdanson, encore que vous
soyez écolier de deuxième année, je tiens que votre science anatomique est
faible et à contrepoil. Car à ouïr si souvent tomber de vos lèvres l’étron, la
bouse et bren, j’opine que vous confondez votre bouche avec votre anus.
Cette saillie merveilleusement
ébaudit les novices, les chirurgiens et les apothicaires, tandis que les
anciens, sur l’estrade, rugissaient de rage à voir leur abbé ainsi accommodé.
Cependant, Merdanson restant le bec cloué sous le coup de son ire, Gast (celui
des lieutenants qui était rond comme tonneau) s’écria :
— Compains ! Allez-vous
souffrir l’insolence de ce ver de terre à l’endroit de notre abbé ?
Tudieu ! Cela exige châtiment mémorable. Je propose de débragueter ce
Rhazès de Siorac et de lui peindre le vit en rouge.
— Et quant à la couille, hurla
Rancurel, qu’il a belle, mais molle (rires des Anciens) je la couperai de mes
dents, et frite aux oignons, ou toute crue à la vinaigrette, je la mangerai.
— Voilà qui est chié
chanté ! dit Gast. J’en mangerai aussi.
Cette grossière gausserie redonna
quelque cœur aux Anciens, et entre eux, à voix basse, ils conciliabulaient pour
savoir comment me courir sus quand soudain, mon bien-aimé Samson s’avança en sa
force et inégalable beauté et, bel ange de Dieu qu’il était, dit d’une voix
douce, avec son charmant zézaiement :
— Qu’est cela. Monsieur ?
Parlez-vous d’escouiller mon gentil frère ? Si ce n’est là que parole,
elle est sale et fâcheuse. Si c’est acte, je vous combattrai.
— Mais d’où sort ce sot
embéguiné ? s’écria Merdanson. Et qui est-il ?
— Monsieur, dit Samson en sa colombine
simplicité, je suis Samson de Siorac, je suis apprenti apothicaire et point si
sot qu’il apparaît pour ce que je récuse l’initiation, étant patent que le
Chancelier Saporta l’a interdite.
Cette déclaration en sa droiture
naïve ne fut pas sans effet.
— Voilà qui est parlé !
m’écriai-je voulant saisir la balle à la volée. Apothicaires, Merdanson a
réduit outrageusement votre art à la vente des épices. Chirurgiens, il vous a
ravalés au niveau des barbiers. Et vous, novices, vous êtes menacés d’être harassés
comme bourriques en étable.
Weitere Kostenlose Bücher