En Nos Vertes Années
novices
d’étonnement, emporta le morceau. Et comme les anciens essayaient à tourner
notre petit groupe en enjambant les bancs, les nouveaux marchèrent à leur
encontre par la même voie, et bien qu’ils luttassent encore assez mollement
(par un reste de crainte religieuse que les anciens leur inspiraient) leur
masse était telle qu’elle empêcha les assaillants de nous encercler. Ceux-ci
d’ailleurs devinrent tout soudain bien moins ardents à nous accabler quand ils
virent contre eux le branle de nos bons moutons.
On en était là de cette bataille et
elle devait tourner infailliblement à notre avantage quand dominant les cris
étranges des combattants, retentirent, toqués sur la table de l’estrade, trois
forts coups de maillet. Et levant le nez, nous vîmes, étonnés et cois, derrière
ladite table, debout et terrible en son ire, le Chancelier Saporta. Il était
flanqué à dextre du Docteur d’Assas et à senestre du bachelier Fogacer, tandis
que le bedeau Figairasse, au pied de l’estrade, fouettait l’air de sa verge
avec un air de ravissement à vous faire rentrer le cœur dans les tripes.
— Ha misérable gueux ! dit
Merdanson à voix basse à Rancurel, bosselé et boitillant, tu les as vus de tes
yeux merdeux partir pour Frontignan !
— Tudieu ! nous les avons
vus ! dit Gast à peine moins défait. Ils sont partis et revenus :
c’était ruse de guerre !
— Silence ! tonna Saporta.
Et le silence se fit que je ne veux
décrire derechef, ayant usé de la métaphore (que je crois neuve) du ver à soie
se retournant dans son cocon. Et pourtant, gens de bien, que muets nous
étions ! et moulus ! et navrés ! et saignants ! Et au
surplus, plus penauds et quinauds que larrons pris en foire !
Après nous avoir tenus un long
moment sous la fascination de son œil noir, le Docteur Saporta s’écria d’un ton
courroucé, mais qui n’allait pas sans quelque rhétorique :
— Messieurs les Écoliers, à
peine avez-vous juré de respecter nos statuts et de ne point en venir aux mains
céans que, déjà, vous vous parjurez ! Où suis-je ici ? poursuivit-il
avec un majestueux envol de ses larges manches. En l’École de médecine dont je
suis chancelier ? Ou chez les palefreniers de M. de Joyeuse ? Voire
les truands de la rue des Étuves ? Ai-je lu, ou n’ai-je pas lu coram
populo [70] cet article de nos statuts qui prévoit que seront punis de verge ceux qui, en
cette école, se navrent l’un l’autre par battements, soufflets, nasardes, et
coups de pied de par le cul ? À ce compte, si j’en crois ce que j’ai vu en
pénétrant céans, vous seriez tous fouettés !
Il hurla ce tous comme en
notre entrevue, il avait hurlé par écrit ! ces soudaines hurlades
étant sa coutumière méthode pour frapper de terreur les esprits. Et bien il y
réussit, ce me semble, à en juger par les chagrines faces que faisaient nos
combattants, lesquelles (je parle des faces) prenaient déjà ce rouge dont les
culs étaient menacés.
— Cependant, poursuivit
Saporta, outre que je ne voudrais pas donner trop grand labour à Monsieur le
Bedeau Figairasse…
— À bonne besogne point ne
rechigne ! dit Figairasse en faisant siffler sa verge.
— Monsieur le Bedeau, dit
Saporta d’un ton sec, ramentevez-vous, je vous prie, de n’ouvrir la bouche que
je ne vous adresse la parole.
— Avec mes excuses, Monsieur le
Chancelier, dit Figairasse et à votre commandement. Et disant cela d’un ton
humble, il nous regarda d’un air fier comme pour nous faire entendre sur qui,
et sur quoi, il allait se revancher de cette rebuffade.
— Cependant, reprit Saporta, en
ce premier jour de ma chancellerie, il est de mon plaisir de faire preuve à
votre endroit de mansuétude (ici le Docteur d’Assas esquissa un sourire, comme
s’il savait ce que valait l’aune de cette bénignité) et en place de châtier
tous les soldats, je ne punirai que les chefs. Qu’ils se nomment donc, encore
que je les connaisse déjà.
C’était me laisser peu de choix.
— Monsieur le Chancelier,
dis-je incontinent, je commandai un des deux partis.
— Monsieur le Chancelier, dit
Merdanson, je commandai l’autre.
— Les beaux capitaines que
voilà ! dit Saporta, et lequel des deux a suscité ce tumulte ?
— Moi, dis-je : j’ai
affronté les anciens.
— Moi, dit Merdanson :
j’ai humilié les novices.
— Vous avez fait pis,
Merdanson ! s’écria le Chancelier d’une voix
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