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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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un
« de » duquel comme pour d’Assas, on avait souri avant que de s’y
accoutumer. Je notais en l’envisageant que le Docteur de la Vérune était
volumineux en toutes les parties du corps, que ce fussent les joues, le cou, le
poitrail et la bedondaine, mais à la différence de Figairasse, plutôt que fort
il paraissait enflé.
    — Passe encore pour Vésale,
s’écria-t-il sur le ton le plus dépit, il est docteur et il a étudié en notre
école. Mais Ambroise Paré ! À peu que les mots ne me manquent pour dire le
scandale où je suis à voir un livre de ce chi-rur-gien (il prononça le mot avec
un déprisement infini) admis dans notre ordo lecturarum ! Pouvons-nous, Monsieur le Chancelier, supporter le pensement odieux que des
docteurs en médecine – je dis bien des docteurs – ouvrent le livre
d’Ambroise Paré, lequel d’ailleurs, ajouta-t-il avec dédain, est écrit en
français, et le lisent et le commentent. De vergogne et de confusion j’en ai
déjà le rouge aux joues ! Est-ce là, je le demande, une lecture digne de
notre école ? Un docteur, je dis bien, un docteur lire en français le
livre d’un chirurgien qui est maître, et non point docteur ! Allons-nous
ravaler notre titre au niveau de cette boue ?
    Dans le silence qui suivit cette
mercuriale et qui embarrassa fort le Doyen et même le Chancelier, car elle
touchait aux privilèges de leur grade, ces privilèges étant tenus par quasi
tous comme presque plus sacrés que le savoir, le Docteur d’Assas, suavement
souriant, dit d’une voix infiniment douce :
    — Si boue il y a, je demande à
y être plongé. Je suis docteur, mais j’accepterais d’un cœur égal d’être
rétrogradé au rang de maître, si j’avais le génie d’Ambroise Paré. Car je le
tiens, et pour un très grand médecin et pour un chirurgien hors pair. Il a sur
les champs de bataille sauvé la vie d’innombrables amputés, en substituant la
ligature des artères à la cruelle cautérisation par le feu. Et quant à son
traité sur les plaies faites par les arquebuses, il est à ce jour inégalé tant
par l’exactitude de ses descriptions que par les curations qu’il propose.
    — Il n’empêche ! s’écria
le Docteur de la Vérune balayant de la main comme fétu de paille les arguments
du Professeur Royal, Ambroise Paré n’est pas docteur ! Il n’est que maître !
Nous pouvons à la rigueur le lire dans le secret de notre cabinet encore qu’il
n’écrive pas en latin. Mais le lire ex cathedra [68] , et en français,
serait déchoir !
    — Docteur de la Vérune, dit
alors le Chancelier Saporta, lequel, je l’observais une fois de plus, pouvait
de loup dévorant qu’il était se changer en agneau, je vous loue fort du zèle
que vous mettez à défendre la gloire de notre titre contre les empiétements des
grades subalternes : il est vrai, Ambroise Paré n’est que maître. Il n’est
point docteur. Pis même : il est chirurgien. Et là-dessus en votre sens
j’opine et suis avec vous de tout cœur.
    Cependant, l’autorité de ce
chirurgien regardant les plaies faites par les arquebuses est, comme l’a dit le
Docteur d’Assas, inégalée, et se trouvant que ces plaies sont, hélas, si
fréquentes en les temps troublés que nous vivons, nous avons cru bon d’en
instruire nos écoliers. Avons-nous eu tort ? Devons-nous rayer le livre
d’Ambroise Paré de notre ordo lecturarum ?
    — Si j’étais vous, je le
ferais ! s’écria le Docteur de la Vérune qui, gros fol qu’il était,
croyait déjà la partie gagnée.
    — Voire ! dit le
Chancelier avec un subit brillement de l’œil. Voire ! Cela mérite
réflexion. Ambroise Paré a soigné Henri II en sa longue agonie. Il est
attaché de par la volonté de notre roi Charles IX à sa personne. Je vous
le demande à tous et un chacun, ajouta-t-il, en gonflant la voix :
pouvons-nous d’un cœur léger offenser notre souverain en son choix et rayer de
notre ordo lecturarum le livre de son médecin ? Que celui qui opine
en ce sens lève la dextre !
    Cette question, en son ton comme en
sa forme captieuse, fut posée sur un ton si menaçant qu’elle glaça l’Assemblée
et lui rentra à ce point sa fronde dans la gorge, que personne n’osa plus
bouger. Et fort de ce lâche et tacite acquiescement, le Chancelier, toujours
sourcillant, leva son maillet, et même alors l’Assemblée ne remuant pas plus
que souris épouvantée en son trou, il toqua avec force la table et

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