En Nos Vertes Années
Allez-vous lâchement souffrir l’arrogance de ces
tyranneaux dont tout le mérite est d’être entré à l’École une année avant
nous ? Ou allons-nous, tous unis, résister aux indignités dont nous sommes
menacés ?
Mais tant neuve était l’idée que les
novices qui, après tout, étaient écoliers pussent s’allier aux apothicaires et
aux chirurgiens, qui ne l’étaient point, contre les anciens du collège, et si
fort aussi le respect que ceux-ci et la coutume inspiraient que ce discours
n’eut pas le succès que j’en escomptais auprès de ceux-là mêmes qu’il entendait
protéger. Et au silence des uns et aux huées des autres je mesurais l’isolement
où je me trouvais réduit.
— Courage, Moussu, dit une voix
derrière moi, nous en vîmes bien d’autres au combat de la Lendrevie.
— Mais que fais-tu là,
Miroul ? dis-je à voix basse en me retournant. Veux-tu bien t’en
sauver !
— Nenni, dit-il, Monsieur votre
père m’a commandé d’être à vos côtés dans les jours de péril et, connaissant
votre humeur, j’ai pensé que la Saint-Luc pourrait bien être une de ces
occasions.
— Et c’était bien pensé,
Miroul. Reste. Contre cette quinzaine de droles bien membrés, nous ne serons
pas trop de trois.
— De quatre, dit alors Carajac,
l’apprenti chirurgien qui avait osé braver Merdanson. Je ne puis souffrir, sous
couvert de coutume, cette tyrannie que voilà.
— Merci, Carajac, dis-je, l’œil
sur sa carrure et fort conforté de la trouver si large. Nous allons en
découdre, je crois.
À ces mots, comme si j’avais donné
moi-même le signal de l’assaut, Merdanson et les anciens, descendant de
l’estrade, se ruèrent dans l’allée centrale des gradins en hurlant
« Tue ! Tue ! Tue ! » et ces fols nous auraient bel et
bien occis, je gage, s’ils avaient eu des épées ou des piques, tant était grand
le degré de leur échauffement.
Du nombre, les assaillants avaient
l’avantage mais nous, de la situation, car ils devaient monter par un passage
entre les bancs qui n’avait pas plus d’une toise de large et qui resserrait
leurs rangs :
— Vos pieds, Moussu ! me
souffla Miroul. Usez de vos pieds, comme vous avez fait avec moi le jour où je
larronnais en la souillarde de Mespech.
C’était là bel et bon conseil, car
dès que Merdanson fut à ma portée, rouge, le cheveu flamboyant, la bouche
crachant injures truandes, je lui décochai un coup de botte dans la poitrine
qui le rejeta tout hurlant, dans les bras de ses séides. Et bien que je fusse,
dans les minutes qui suivirent, fort occupé à me défendre comme étalon en rut
(et bien marri de n’avoir que deux sabots au lieu de quatre) je ne fus pas sans
m’apercevoir que Carajac faisait de la bonne ouvrage par le terrible moulinet
de ses bras, et Miroul, de la meilleure encore, par ses crocs-en-jambe et
autres coups sournois dont il avait le secret. Quant à mon bien-aimé Samson,
toujours un peu lent à concevoir comme à exécuter, et d’ailleurs bien peu
enclin en son angélique nature à navrer son semblable, il fallut que Gast et
Rancurel, en leur folie, tâchassent de le faire prisonnier pour qu’il se
réveillât.
— Messieurs, qu’est cela ?
dit-il, zézayant et poli. Et soulevant Gast de sa main senestre, il souleva
Rancurel de sa dextre, et les choquant l’un contre l’autre les catapulta contre
le gros des assaillants. Et quelle belle chute ce fut là, bonnes gens ! À
dire le vrai, je ne la vis pas, mais un an plus tard on en faisait encore des
contes dans la rue du Bout-du-Monde.
Cependant, Luc qui, de par la
faiblesse de sa constitution, répugnait à se battre, mais ne manquait pas de la
meilleure sorte de courage, ni d’éloquence, excitait les novices, apothicaires
et chirurgiens à nous secourir, les appelant lâches, pleutres, couards, veaux à
l’engrais, moutons à l’abattoir.
— N’êtes-vous pas beaux à voir,
arguait-il, à rester à trembloter comme gelée dans votre coin sans main forte
prêter à vos champions ? Siorac n’est-il pas novice ? Que font les
novices ? Samson apothicaire ? Que font ceux-ci ? Carajac est
chirurgien. Que font ses frères ? Rien. Tous trois se battent pour vous
éviter les humiliations d’une initiation que Saporta a interdite. Et vous,
misérables escouillés, vous les laissez écraser !
Sa véhémence produisait à la fin
quelque effet, et l’exploit épique de Samson, en frappant les
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